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En Iran, le mouvement de contestation s’intensifie et provoque des dissensions au sein du régime

رنگین کمان ...Le pays a connu l’une de ses nuits de protestation les plus importantes et les plus violentes du 16 au 17 novembre. Des hauts responsables religieux au président du Parlement, des dignitaires s’interrogent ouvertement sur la répression.Nouvelle plainte d'Iraniens aux Etats-Unis contre le président Raïssi d'Iran - La LibrePar Ghazal Golshiri et Madjid ZerroukyManifestations en Iran : des écolières défient la répression en retirant leur foulard pour protester contre la mort de Mahsa AminiDes incendies ont eu lieu à Fuladshahr (Iran), selon une photo postée sur les réseaux sociaux, le 17 novembre 2022. OBTAINED BY REUTERS / VIA REUTERSManifestations en Iran : plus de 100 personnes inculpéesKian Pirfalak voulait devenir ingénieur dans la robotique. A 10 ans, le visage rond et les yeux curieux et vifs, il adorait planter des arbres, construisait des petites voitures à piles et des bateaux minuscules en bois, avec lesquels il participait à des compétitions scientifiques. Il a été tué par balles mercredi 16 novembre dans la ville d’Izeh, située dans la province du Khouzestan, dans le sud de l’Iran.Cette génération est prête à mourir pour ses libertés»: en France, les étudiants iraniens soutiennent leur pays - Le Figaro EtudiantKian Pirfalak est devenu le dernier visage connu de la répression contre le soulèvement en cours en Iran depuis trois mois. Sa mort ne peut qu’alimenter le malaise et les critiques qui se manifestent désormais dans la galaxie du pouvoir de la République islamique.https://static1.terrafemina.com/articles/7/36/70/67/@/581408-il-s-appelait-kian-pirfalak-il-n-avait-990x0-2.jpgDans une vidéo, le jeune garçon commençait ainsi une démonstration de son petit bateau : « Au nom du dieu des arcs-en-ciel. » Une formule que les manifestants se sont aussitôt appropriée. Le régime a tenté d’accréditer l’idée que l’enfant avait été tué par des « terroristes armés » et que l’attaque avait été revendiquée par l’organisation Etat islamique – ce que le groupe djihadiste n’a jamais fait. A en croire les autorités, trois terroristes auraient été arrêtés dans le nord-ouest de l’Iran en lien avec le meurtre de l’enfant, sans qu’aucun détail soit donné sur leur affiliation ou leurs origines.Mahsa is all these people': Vancouverites rally over death of Iranian woman in police custody | Globalnews.ca

Mais le récit qu’a fait sa mère de la mort de l’enfant est aujourd’hui un des éléments qui sèment le doute jusque chez les plus fervents soutiens du régime. « Kian Pirfalak, victime du terrorisme », avait écrit le journaliste conservateur Behrooz Azizi sur Twitter, jeudi 17 novembre, affichant son adhésion à la version officielle des faits. Quelques heures après, changement de ton. L’enfant a été enterré et Behrooz Azizi tweete la vidéo où l’on voit la mère de Kian Pirfalak, Zeinab Molayi-Rad, évoquer le drame. « La mère de Kian dit que les forces en civil ont tiré sur lui. Qui sont-elles ? », s’interroge le journaliste.تظاهرات سراسری علیه آخوندهای حاکمDéjà 16 000 interpellations

La nuit du drame, Zeinab Molayi-Rad, son mari et leurs deux enfants passaient en voiture devant un groupe de militaires armés dans la ville d’Izeh. En face d’eux, un autre groupe en civil et en armes. « Nos vitres étaient fermées. Les policiers ont pensé, je ne sais pas pourquoi, que nous voulions leur tirer dessus. Ils ont criblé de balles notre voiture », a expliqué Zeinab Molayi-Rad, la voix tremblante, devant une foule réunie pour l’enterrement de son fils. Le père de Kian a été touché et il est aujourd’hui dans un état critique. La famille avait décidé de garder le corps de Kian à la maison avant son inhumation, afin d’empêcher que les autorités le volent. La pratique, réelle, vise à exercer une pression sur les familles de victimes de la répression pour les obliger à confirmer la version officielle de la mort.حمله به مقر یکی دیگر از گروه‌های کرد ایرانی در اقلیم کردستان عراقLa révolte en Iran, déclenchée par la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans, entre dans son troisième mois. La jeune femme a perdu la vie après une garde à vue. Elle avait été interpellée en raison de vêtements jugés « inappropriés » par la police des mœurs. Depuis, chaque enterrement se mue en nouvelle manifestation contre le régime. La mobilisation s’est intensifiée ces derniers jours après un appel à commémorer le mouvement de l’hiver 2019, causé par une augmentation du prix de l’essence. Entre 300 et 1 500 manifestants avaient alors été tués.سنندج - آبان ۱۴۰۱

Le pays a ainsi connu l’une de ses nuits de protestation les plus étendues et les plus violentes du 16 au 17 novembre, la contestation gagnant des villes de moins de 50 000 habitants. Jusqu’à quinze personnes ont été tuées, portant à 381, dont 57 enfants, le nombre de victimes de la répression, selon un bilan parcellaire publié le 18 novembre par l’organisation Iran Human Rights, installée en Norvège. Cinquante-sept membres des forces de l’ordre ont également trouvé la mort, d’après un décompte du chercheur de l’Arab Gulf States Institute, Ali Alfoneh, qui se fonde sur les avis de funérailles publiés dans la presse ou en ligne. Parmi les 16 000 personnes interpellées depuis le début de la contestation, cinq « émeutiers » anonymes ont été condamnés à mort dans la capitale cette semaine.سرکوب اعتراضات در ایران« L’Etat paie un prix élevé »

Comme une ultime transgression, une aile du séminaire de la ville sainte de Qom et la maison natale de l’ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique, ont été incendiées. Dans le même temps, les marchands ont fermé leurs magasins du 15 au 17 novembre dans les artères commerciales et les bazars de Téhéran, Machhad et Ispahan. Une nouvelle alerte pour le régime : les « bazaris », qui contrôlent le commerce de détail en Iran, sont considérés comme faisant partie de sa base sociale et ils lui avaient fourni sa première génération de cadres issus des milieux urbains. « L’Etat paie un prix élevé alors qu’il continue de lutter pour réprimer le mouvement populaire pour la liberté et la justice », dénonce Hadi Ghaemi, directeur exécutif de l’ONG Center for Human Rights in Iran. Onze personnes ont été arrêtées en lien avec la grève du bazar de Téhéran, selon la police.-واشنگتن - مقابل کنگره آمریکا - نمایشگاه بزرگداشت شهیدان سرفراز قیام سراسری - 1La répression dans les provinces du Kurdistan et du Sistan-et-Baloutchistan, où les minorités ethniques et religieuses sont soumises depuis les temps de la monarchie à un régime vécu comme colonial, débouche, elle, sur des dissidences inédites. Molavi Abdolhamid, souvent décrit comme le chef spirituel des Baloutches, jadis un fervent soutien de la « solidarité entre les sunnites et les chiites » et, en 2021, de la candidature du président actuel, l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, est aujourd’hui un critique virulent de la République islamique. Pendant la prière du vendredi 18 novembre, Molavi Abdolhamid a promis de ne pas transiger avec le pouvoir. « Nous sommes pour l’interaction et le dialogue, pas pour la compromission », a-t-il dit devant les fidèles réunis à Zahedan, la capitale du Sistan-et-Baloutchistan.تظاهرات ایرانیان آزاده - ۲۸آبانLe 16 novembre, cette figure influente de la minorité sunnite en Iran a critiqué, sur son compte Twitter, l’attitude de la délégation envoyée dans la province par le Guide suprême, Ali Khamenei, pour « apaiser » les tensions à la suite du « vendredi noir », le 30 septembre, à Zahedan, quand 93 manifestants avaient été tués. A en croire Molavi Abdolhamid, les envoyés du pouvoir auraient eu « recours aux menaces et à l’intimidation (…) au lieu de demander pardon aux familles des victimes et des blessés et de faire valoir leurs droits », a-t-il expliqué.

« C’est la fin du modèle politico-religieux »قیام ایران

Face à ce cycle de violences et à une contestation qui ne faiblit pas, inquiétude et critiques se font aussi entendre au sein du clergé, défiant l’autorité du Guide suprême. Le 9 novembre, l’ayatollah Assadollah Bayat-Zanjani, religieux réformiste et « source d’émulation », l’un des plus hauts grades, a estimé que « les manifestants avaient le droit de se défendre contre des agents en civil qui attaquent avec des fusils ou des couteaux ». Une allusion claire aux bassidji (les milices locales rattachées au corps des gardiens de la révolution), aux avant-postes de la répression. Avant lui, l’ayatollah Javad Alavi-Boroujerdi, l’un des plus hauts dignitaires religieux du pays, avait affirmé que le peuple iranien avait « le droit de critiquer ses dirigeants ». Tous deux ont été menacés par courrier par la direction du séminaire de Qom.-واشنگتن - مقابل کنگره آمریکا - نمایشگاه بزرگداشت شهیدان سرفراز قیام سراسری - 2Des dissensions sur la manière de répondre à la crise se font jour au sein des courants conservateurs, qui ont écarté toute opposition dite « réformatrice » après avoir pris le contrôle de l’ensemble des rouages de l’Etat depuis l’élection du président Ebrahim Raïssi. Et ce, même au sein du Parlement, dominé par les plus radicaux, qui appellent à un surcroît de répression en multipliant les menaces et les déclarations incendiaires.

A rebours de leurs prises de position, le président du Parlement, Mohammad-Baqer Qalibaf, ancien commandant des gardiens de la révolution, a souhaité un retour au calme, le 6 novembre. Il a même promis aux contestataires « des changements légitimes et nécessaires dans les domaines économique, social et politique » s’ils mettent fin aux manifestations. Le 28 octobre, il avait reproché aux ultras « d’ouvrir la bouche et de dire et faire n’importe quoi sans calculer les conséquences de leur comportement ».-واشنگتن - مقابل کنگره آمریکا - نمایشگاه بزرگداشت شهیدان سرفراز قیام سراسری - 3Autant de cailloux posés dans le jardin du Guide suprême iranien, qui a appelé les forces politiques à s’abstenir de toute action susceptible de mettre en péril l’unité du pays, tandis que les réformateurs redonnent de la voix. Parmi eux, l’ancien ministre, Ali Rabei, a averti, le 7 novembre, que l’Iran pourrait faire face à des « affrontements sanglants » du fait de la « pression » croissante exercée par les ultraconservateurs.

Ces débats internes au régime n’ont pas la moindre influence sur les manifestants, qui ciblent la République islamique, ses symboles et sa figure centrale : le Guide suprême. « Il ne peut y avoir de réponse politique à ce mouvement dans le cadre du régime. C’est la fin du modèle politico-religieux. Toute la question est de savoir quand adviendra cette fin. Car c’est un régime qui exclut et se rétrécit, estime le chercheur et historien spécialiste de l’Iran Clément Therme. La demande de transformation idéologique émane de la population, qui a conscience qu’il n’est pas possible de réformer ce régime. »Iranian protesters chant anti-regime slogans at boy's funeral | Iran | The GuardianGhazal Golshiri et Madjid Zerrouky

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/19/en-iran-le-mouvement-de-contestation-s-intensifie-et-provoque-des-dissensions-au-sein-du-regime_6150625_3210.html

 

 

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