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12 Juillet 1906 – La cour de cassation réhabilite le capitaine Dreyfus

L'affaire DREYFUS - Les Collections de la Marche de l'Histoire hors-série 412 Juillet 1935 – Décès d’Alfred Dreyfus, officier d’artillerie juif Alfred DreyfusAffaire Dreyfus : quand le monde écrivait à Zola | CNRS Le journalDreyfus obtient justice, Zola aussiHow the Dreyfus Affair Went Global | CNRS NewsPeut-on jeter un regard en arrière ? Le 3 juin 1899, les trois chambres réunies de la Cour de cassation avaient rendu un arrêt qui cassait et annulait le jugement du 28 décembre 1894 condamnant Alfred Dreyfus à la déportation perpétuelle. Elles avaient renvoyé l’accusé devant le conseil de guerre de Rennes. Revenu de déportation pour être à nouveau jugé, le capitaine Dreyfus avait comparu devant le conseil de guerre qui, après des débats tumultueux, l’avait condamné, le 9 septembre, à dix ans de détention. Dreyfus, que son emprisonnement à l’île du Diable avait tant éprouvé, allait-il retourner au bagne ? Allait-il être à nouveau dégradé ? Mais Waldeck-Rousseau, qui dirige le gouvernement français, veut en finir avec l’affaire. Le 19 septembre, le président de la République, Émile Loubet, signe le décret qui gracie Alfred Dreyfus. Encore quelques mois et le Parlement vote la loi amnistiant « tous les faits criminels ou délictueux » « commis à l’occasion de l’affaire Dreyfus ». Zola, et bien d’autres, protestent en vain. L’affaire est terminée.L'affaire DREYFUS - Les Collections de la Marche de l'Histoire hors-série 4Elle ne l’est pas pour le capitaine Dreyfus. Il ne peut admettre l’odieux jugement qui, une seconde fois, l’a déclaré coupable. Mais comment reprendre le combat ? Aux élections législatives de 1902, « la coalition des gauches » conduite par les radicaux l’a emporté largement. Waldeck-Rousseau, invoquant son état de santé et aussi le fait qu’un homme politique ne doit pas se perpétuer au pouvoir, a démissionné. Le docteur Émile Combes, député du Tarn, lui a succédé. Alfred Dreyfus et son frère Mathieu se concertent avec leurs avocats et leurs amis. C’est Jean Jaurès, le député de Carmaux, qui va emporter la décision : il faut, dit-il, faire comprendre au nouveau gouvernement que les républicains veulent établir toute la vérité pour mettre fin à l’affaire. Jaurès occupe la tribune pendant toute la séance du 6 avril 1903 et plus de deux heures le 7 avril. How the Dreyfus Affair Went Global | CNRS NewsAprès un violent débat, l’Assemblée se déclare prudemment « confiante dans le gouvernement et résolue à ne pas laisser sortir l’affaire Dreyfus du domaine judiciaire ». Le gouvernement accepte que le nouveau ministre de la Guerre, le général André, procède à une « enquête personnelle » seulement destinée à servir la vérité. Cette enquête dure à peu près six mois. Conduite sans préjugé, avec rigueur, elle assemble les preuves des faux et des fraudes qui ont préparé la condamnation de Dreyfus. Le 25 novembre 1903 Alfred Dreyfus et son avocat Maître Mornard rédigent le texte d’une requête en révision de l’arrêt du conseil de guerre de Rennes, invoquant à la fois les révélations de Jaurès à la Chambre des députés, l’enquête du général André et plusieurs éléments nouveaux. La révision est en marche.         L'affaire Dreyfus ; j'accuse - Vincent Duclert, Emile Zola - Audiolib - livre-audio (mp3) - Librairie Le Square GRENOBLEDès janvier 1904, les conseillers de la chambre criminelle de la Cour de cassation reçoivent le réquisitoire écrit du procureur général Baudoin qui ne laisse place à aucune équivoque : l’arrêt de la Cour de cassation « saura préparer le triomphe de la Vérité et de la Justice ». À l’audience de la chambre criminelle du 3 mars 1904, on entend le rapport du conseiller Boyer, précis, attentif au moindre détail, puis la plaidoirie de Maître Mornard. La chambre criminelle déclare la demande recevable et ordonne une instruction supplémentaire. Celle-ci se prolonge jusqu’en novembre 1904 : la chambre criminelle interroge la plupart des acteurs de l’affaire, notamment les anciens ministres de la Guerre et les chefs successifs de l’état-major. Par arrêt du 19 novembre 1904, la chambre criminelle transmet le dossier aux chambres réunies. Le premier président de la Cour de cassation, Alexis Ballot Beaupré, eut quelque peine à trouver un rapporteur. Ce n’est que le 14 mai 1905 qu’il désigne le conseiller Moras qui dépose son rapport dans les premiers jours de l’année 1906. Mais les élections législatives, prévues pour le mois de mai, sont très proches. Ne serait-il pas préférable d’attendre ? Dreyfus souffre de ce long retard : « J’attendais la fin de mon supplice… »ImageLes élections de mai 1906 signifient l’échec de la droite traditionnelle, le succès de la gauche socialiste et surtout des radicaux qui, emportant plus de 250 sièges, peuvent désormais gouverner sans les socialistes. « On va voir maintenant ce dont vous êtes capables » leur dit Jaurès. L’homme fort, c’est désormais Clemenceau, l’implacable dreyfusard, président du Conseil dans quelques mois…

Les 15 et 16 juin 1906, les conseillers des trois chambres réunies de la Cour de cassation procèdent à huis clos à l’examen du « dossier secret » remis en 1894 au conseil de guerre de Paris pendant son délibéré. Le 18 juin, les chambres se réunissent en audience publique. Ces débats qui, sept ans auparavant, avaient été envahis par la foule ne sont suivis que par la famille Dreyfus, des avocats, d’anciens militants des combats, et bien sûr des journalistes, mais les opposants ne sont plus là. « Nulle précaution de police… le calme des jours ordinaires », observe Joseph Reinach qui assiste à l’audience. Que la requête en révision soit accueillie, l’innocence de Dreyfus proclamée, cela ne semble faire aucun doute. Reste à savoir si les chambres réunies casseront l’arrêt de Rennes “sans renvoi” comme le demande le procureur général, ou si elles renverront Dreyfus devant un troisième conseil de guerre comme le suggèrent certains interprètes de la loi. Mais peut-on prolonger encore l’affaire ?ImageDu 18 au 22 juin, le conseiller Moras lit son rapport. Il examine chaque document, chaque témoignage avec minutie. Après lui, le procureur général Baudoin requiert, pendant huit audiences ; d’une voix forte, souvent emportée il excommunie ceux qui, à un moment quelconque, ont entravé l’œuvre de vérité. Au terme de son véhément réquisitoire, il demande aux chambres réunies d’annuler la décision du conseil de guerre, sans renvoyer Dreyfus devant une autre juridiction.

Vient la plaidoirie de l’avocat de Dreyfus, Maître Mornard. Trois jours durant, les 5, 6 et 7 juillet, il reprend, calmement, gravement, tout le dossier, et refait son implacable démonstration. La Cour de cassation devra statuer sans renvoi, ce que prévoit la loi « quand l’annulation de l’arrêt ne laisse rien subsister à la charge du condamné qui puisse être qualifié crime ou délit ».           Lettres inédites d'Alfred Dreyfus : une parole enfin libéréeC’est le 12 juillet 1906 que le président Ballot Beaupré, entouré des magistrats des trois chambres de la Cour de cassation, donne solennellement lecture publique de l’arrêt qui, annulant la décision du conseil de guerre de Rennes, réhabilite Dreyfus « Attendu en dernière analyse que de l’accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout ». Le soir, un dîner rassemble les parents et les amis de Dreyfus. « Je n’avais jamais douté, écrira Alfred Dreyfus, de ce triomphe de la Justice et de la Vérité ». Il n’avait jamais douté… mais il avait vécu plus de quatre ans au bagne.

Dans les jours qui suivirent, le Parlement réintégra Dreyfus dans l’armée, avec le grade de commandant. L’arrêt de la Cour de cassation fut affiché dans toutes les communes.Le 12 juillet 1906, le capitaine Alfred Dreyfus est réhabilitéEt le 22 juillet, dans la cour de l’École Militaire, le commandant Dreyfus en grand uniforme, portant le képi à grenade d’or des officiers hors-cadre, à quelques pas du lieu où il fut dégradé 12 ans plus tôt, reçoit du vieux général Gillain la croix de la Légion d’honneur. Dreyfus revit le jour terrible de sa dégradation ; il pense à son sabre brisé gisant à ses pieds en tronçons épars, à ses galons arrachés, aux hurlements de la foule. Il a peine à supporter la réalité réparatrice. On crie « Vive Dreyfus. Vive Picquart. Vive l’armée ». Mais le commandant Dreyfus corrige « Vive la Vérité, vive la République ».undefinedÀ propos d’Alfred Dreyfus (1859-1935)

Issu d’une vieille famille de juifs alsaciens, il naît à Mulhouse le 9 octobre 1859. En 1871, son père, riche industriel, choisit la nationalité française pour lui-même et pour ses enfants mineurs. C’est un enfant délicat, curieux et persévérant, « rêveur incorrigible » ; son enfance très choyée s’écoule sous la protection de six frères et sœurs plus âgés.Exposition « L'Affaire : de Dreyfus à Zola » | Avocats de ParisAprès un court séjour au collège Sainte-Barbe, il entre comme interne au collège Chaptal dont il déteste « le déplorable système scolaire qui l’étouffe ». Il passe son baccalauréat en 1876 et retourne à Sainte Barbe préparer l’école Polytechnique. Il y est reçu 182ème après un an de préparation. Il en sort 128ème en 1880, sous-lieutenant. A l’âge de onze ans il avait assisté à l’entrée des Prussiens à Mulhouse et en avait ressenti un tel choc et une telle émotion qu’il avait décidé d’embrasser la carrière d’officier pour manifester son attachement à la France.

En 1880, il choisit l’artillerie et entre à l’école d’application de Fontainebleau. Il en sort en 1882, 32ème sur 97. Affecté à la 1ère division de cavalerie du 31ème régiment, il est promu Lieutenant en 1885. En 1889, adjoint au Directeur de l’Ecole de Pyrotechnie de Bourges, il est promu Capitaine.12 juillet 1906 : le capitaine Dreyfus est réhabilité - Billet de FranceLe 18 avril 1890, il épouse Lucie Hadamard, petite fille de polytechnicien. Elle descend d’une famille cultivée et très aisée de Metz, au patriotisme et à la réputation irréprochables. Le 21 avril, le capitaine Dreyfus reçoit confirmation de son admission à l’Ecole Supérieure de guerre.

Sorti avec le numéro 9 et mention Très Bien en 1892, il est désigné pour servir comme stagiaire à l’Etat-major de l’armée.

Le 5 avril 1891 naît son fils Pierre ; le 22 février 1893, naît sa fille Jeanne. Le 13 décembre 1893, meurt son père, Raphaël, architecte de la réussite familiale.                                            ImageEn 1892, Dreyfus est nommé à l’état-major de l’Armée, où il est le seul juif.

Le 13 octobre 1894, un message apporte à son domicile une convocation ordonnant à Alfred Dreyfus de se rendre en tenue bourgeoise, à une inspection le 15 octobre.undefinedLe 15 octobre 1894, il est arrêté par un officier du 3e bureau, le commandant du Paty de Clam. On l’accuse d’être l’auteur d’un document dérobé à l’ambassade d’Allemagne (désigné sous le nom de « bordereau »), annonçant la livraison de documents concernant la défense nationale.

Son procès s’ouvre le 19 décembre 1894, devant le Conseil de guerre de Paris. Il est condamné, le 22 décembre, à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. Il est dégradé au cours d’une cérémonie publique qui a lieu dans la grande cour de l’Ecole militaire, le 5 janvier 1895. Le 21 février, il est embarqué pour l’Ile du Diable.affaire Dreyfus - LAROUSSEAccusé d’espionnage pour le compte des Allemands, Alfred Dreyfus est arrêté pour espionnage et jugé pour trahison en 1894.

Il est déclaré non coupable et complètement disculpé le 12 juillet 1906 dans un drame politique controversé et polarisant connu sous le nom d’affaire Dreyfus.

Dreyfus – Réhabilitation                                        ImageÉmile Zola redoutait la « mêlée ». L’auteur de « Germinal » avait même refusé l’appel des socialistes à rejoindre leurs rangs. Alerté sur la condamnation de l’officier Dreyfus, l’écrivain s’était d’abord défendu d’un « constat », laissant aux politiques le soin de conclure… Mais face à l’essor des thèses antisémites et l’incurie de l’État devant le « crime » de la Grande Muette, Zola prend conscience du danger et se jette corps et âme dans la bataille. La portée de son « J’accuse », en une de « l’Aurore » du 13 janvier 1898, est immense. Ce texte majeur, qui fonde l’acte premier de l’engagement total d’un intellectuel, résonne toujours puissamment. Zola signe là, selon Jules Guesde, « le plus grand acte révolutionnaire du siècle».J'accuse » : Zola prend la défense du capitaine Dreyfus - Ça m'intéresse«Attendu, en dernière analyse, que de l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ; et que l’annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse à sa charge être qualifié de crime ou de délit ; dès lors, par application du paragraphe final de l’article, aucun renvoi ne doit être prononcé. » C’est par ces mots que, le 12 juillet 1906, la Cour de cassation, toutes chambres réunies, prononce « l’arrêt de réhabilitation du capitaine Dreyfus ».

Un arrêt définitif, puisqu’il n’y a pas de renvoi au tribunal militaire, comme ça avait été le cas en 1899, après la cassation du jugement de 1894 qui dégradait le jeune capitaine et l’envoyait au bagne à l’île du Diable pour avoir prétendument livré des documents secrets à l’Empire allemand. Un an plus tôt, en septembre 1893, le Bureau de statistiques – les services de renseignements du ministère de la Guerre – avait découvert qu’un espion agissait en son sein. L’affaire était sérieuse, il fallait un coupable. Un jeune capitaine de 35 ans, originaire de Mulhouse, était là. Il était juif. Quelle aubaine !Emmanuel Macron va inaugurer le musée Dreyfus dans la maison d'Emile Zola | Atlantico.frCinq gouvernements s’étaient succédé de 1893 à 1896. La France était en crise. Elle venait d’être secouée par le mouvement populiste du général Boulanger, qui s’était suicidé en 1891. La petite-bourgeoisie se sentait mal. L’énorme scandale de Panama (1892) l’avait spoliée, en même temps qu’il révélait les turpitudes du monde des finances et de l’État. Au plus, le peuple voulait la revanche sur les Prussiens, lesquels avaient annexé l’Alsace et la Lorraine en 1871 – c’est pourquoi la famille Dreyfus avait quitté Mulhouse. Enfin, la lutte des classes s’aiguisait : le 1er mai 1891, la troupe avait tiré sur les ouvriers à Fourmies ; en novembre, Paul Lafargue était élu député du Nord ; un an après, la grève de Carmaux révélait un tribun : Jean Jaurès. Aux élections générales d’août 1893, les socialistes, dans leur diversité, avec 49 sièges, avaient progressé. Cependant, la publication de « la France juive » d’Édouard Drumont, en 1886, avait donné des ailes aux antisémites, dont la presse agitait l’opinion.

Jeté en pâture à la presseundefinedVraiment, Alfred Dreyfus, c’est une bonne affaire !La vérité en marche: L'affaire Dreyfus: Zola, Émile: 9781987673234: Books - Amazon.caMais pour en faire un coupable, il faut des preuves de sa culpabilité. La seule pièce à disposition est le « bordereau » trouvé par le contre-espionnage dans une poubelle de l’ambassade. Une note sur papier pelure, non signée et non datée, adressée à l’attaché militaire. On va donc comparer l’écriture de cette note à celle du capitaine. Il y a là un commandant, Armand du Paty de Clam, qui passe pour un « expert » en écriture. Il affirme tout de go que Dreyfus est « l’auteur probable » du « bordereau ». Certains ont des doutes ; on convoque d’autres experts. Ils ne sont pas d’accord entre eux, qu’importe ! Armand du Paty de Clam, nommé entre-temps officier de police judiciaire chargé de l’enquête, fait arrêter le jeune capitaine, l’inculpe d’intelligence avec l’ennemi et l’envoie à la prison du Cherche-Midi, à Paris ; nous sommes le 13 octobre 1893. Armand du Paty de Clam espère des aveux, l’état-major aussi ainsi que le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier.How the Dreyfus Affair Went Global | CNRS NewsAlfred Dreyfus n’avoue pas. Il n’y a pas d’autre preuve que ce bout de papier, alors on va dire que le capitaine a effacé les autres. Et on va le jeter en pâture à la presse. « La Libre Parole », « l’Autorité », « le Journal », « le Temps », « la Croix » se déchaînent. L’état-major les abreuve. Le Conseil de guerre se réunit le 19 décembre à huis clos. Fait inhabituel et tout à fait illégal, le ministre de la Guerre fait transmettre au président du Conseil de guerre, le colonel Émilien Maurel, un « dossier secret » afin qu’il fasse office de preuve. On apprendra que ce dossier ne contient rien, sinon des faux.

Le 22 décembre, Alfred Dreyfus est condamné à la peine maximale, applicable en vertu de l’article 76 du Code pénal : le bagne à perpétuité. Bien évidemment, il est destitué de son grade et subit la dégradation militaire. Cela se passe dans la cour Morland de l’École militaire à Paris. Alors qu’un adjudant brise son sabre sur son genou, Dreyfus clame : « Soldats, on dégrade un innocent, soldats on déshonore un innocent ! Vive la France ! Vive l’armée ! » Dans la foule énorme qui assiste à la scène, on entend : « Mort aux juifs ! »ALFRED DREYFUS (1859-1935) officier d'artillerie français lors de son deuxième procès à Rennes, en 1889 Photo Stock - AlamyL’affaire Dreyfus n’est pas encore l’Affaire. Tout aurait pu s’arrêter là. Au fond, l’ex-capitaine n’intéresse pas grand monde, sinon son frère Mathieu, convaincu de son innocence, et le journaliste anarchiste Bernard Lazare, qui vient de publier à Paris « l’Antisémitisme, son histoire et ses causes », et fera paraître, en 1896, à Bruxelles, « l’Affaire Dreyfus – Une erreur judiciaire », le premier écrit dreyfusard.undefinedEn juillet 1895, les services de renseignements accueillent un nouveau chef, le lieutenant-colonel Georges Picquart. Le 21 janvier 1896, il découvre une carte télégramme écrite par Maximilian von Schwartzkoppen, l’attaché militaire allemand. Le « petit bleu », comme on l’appellera, est destiné à un officier français, le commandant Ferdinand Esterhazy, et est tout à fait révélateur des relations entre les deux militaires. De plus, c’est la même écriture que celle du bordereau. Picquart constate également que le « dossier secret » ne contient aucune preuve.Rue de Port-Haliguen, Quiberon | Mapio.netIl en fait part à ses chefs. L’état-major et le ministre Mercier estiment que la chose jugée est la chose jugée. Dreyfus doit rester à l’île du Diable. Le général Picquart est muté dans l’Est, puis carrément en Tunisie. Mais Mathieu Dreyfus a eu connaissance de l’affaire Esterhazy et d’autres avec lui, comme le sénateur Auguste Scheurer-Kestner. Mathieu porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Esterhazy.

L’Affaire commence. En novembre 1897, Scheurer-Kestner rencontre un écrivain au faîte de la gloire : Émile Zola. Celui-ci ne s’est guère intéressé jusque-là aux malheurs de l’ex-capitaine, mais il a publié, le 16 mai 1896, dans « le Figaro », un article au titre provocateur « Pour les juifs », dans lequel il fait part de son « dégoût croissant » pour les campagnes antisémites qui ont lieu en France. « L’antisémitisme, écrit-il, dans les pays où il a une réelle importance, n’est jamais que l’arme d’un parti politique ou le résultat d’une situation économique grave. »Port-Haliguen — Wikipédia« L’acte révolutionnaire »ImageIl n’est pas encore question de Dreyfus. Mais, après sa rencontre avec le sénateur Auguste Scheurer-Kestner, Émile Zola s’engage à fond. Le 25 novembre, il publie dans « le Figaro » un article intitulé « Scheurer-Kestner ». Il s’insurge contre « la marée d’invectives et de menaces » que subit le vice-président du Sénat depuis qu’il a réclamé la révision du procès de 1894. « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera », conclut l’auteur de « Germinal ». Ce sera le mot d’ordre des dreyfusards.

Le 1er décembre, Émile Zola dénonce la propagande antisémite contre « la banque juive » (« Le Syndicat ») ; le 5 décembre, le « poison de l’antisémitisme » (« Procès-Verbal »). « Le Figaro » prend peur. Qu’à cela ne tienne, Émile Zola édite chez Fasquelle, un libraire de la rue de Grenelle, deux brochures : la « Lettre à la jeunesse » et la « Lettre à la France » : « Je t’en conjure, France, sois encore la grande France, reviens à toi, retrouve-toi. »Alfred dreyfus Banque d'image et photos - Alamy

Un parti dreyfusard commence à se constituer. On y rencontre les écrivains Octave Mirbeau, Anatole France, l’universitaire Lucien Lévy-Bruhl, le bibliothécaire de l’École normale supérieure Lucien Herr, Léon Blum et Jean Jaurès, les frères Clemenceau, Albert et Georges, qui s’investissent dans le combat pour la révision du procès. On commence à parler d’« intellectuels ». Cependant, rien ne bouge vraiment quand, jugé lors d’un simulacre de procès où les faux abondent, Esterhazy est acquitté le 11 janvier 1898. Le lieutenant-colonel Picquart est inculpé de « violation du secret professionnel » et mis aux arrêts au fort du mont Valérien. De violentes émeutes antidreyfusardes et antisémites éclatent un peu partout.ImageLe camp dreyfusard est consterné mais pas abattu. Deux jours après l’acquittement d’Esterhazy, le 13 janvier 1898, un titre barre la « une » de « l’Aurore » : « J’accuse ». Émile Zola y dresse un véritable réquisitoire contre la justice militaire et le pouvoir.

Le pamphlet portait initialement le titre « Lettre à M. Félix Faure, président de la République ». Mais c’est la manchette du journal, « J’accuse », qui fera sa célébrité, en même temps que son efficacité. Émile Zola met en lumière la mécanique de l’erreur judiciaire ; il fait l’inventaire de procédures judiciaires contre Alfred Dreyfus ; il démontre la culpabilité d’Esterhazy ; enfin, il dénonce la collusion des pouvoirs publics et prononce nominalement, à l’égard de chacun des protagonistes, jusqu’au ministre de la Guerre, un « j’accuse » froid et précis.

« L’Aurore » tirait habituellement à 30 000 exemplaires. Le tirage du jeudi 13 janvier 1898 atteint les 300 000. Charles Péguy témoignera en 1902 dans « les Cahiers de la Quinzaine » : « Il y eut un sursaut. La bataille pouvait recommencer. Toute la journée dans Paris les camelots à la voix éraillée crièrent “l’Aurore”, coururent avec “l’Aurore”, en gros paquets sous le bras, distribuèrent “l’Aurore” aux acheteurs empressés. Ce beau nom de journal, rebelle aux enrouements, planait comme une clameur sur la fiévreuse activité des rues. Le choc donné fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner. »

Un an de prison pour zola

Dans les jours qui suivent, Émile Zola reçut plus de deux mille lettres, la moitié de l’étranger.

Le « J’accuse » marque un tournant dans l’Affaire et plus que cela dans l’histoire politique de la IIIe République, dans l’histoire tout court, même. Aussitôt l’article paru, son auteur est traîné devant les tribunaux. « Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme », écrivait-il en conclusion de sa « lettre ». « Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends. »

Émile Zola et Alexandre Perrenx, le propriétaire de « l’Aurore », sont convoqués devant les assises de la Seine, le 7 février 1898. Le 23, Émile Zola est condamné à la peine maximale : un an de prison et 3 000 francs d’amende. Un pourvoi en cassation est possible, mais les juges du Conseil de guerre ont porté plainte pour diffamation. Il y a toutes les chances qu’ils obtiennent satisfaction. Son avocat, Me Fernand Labori, conseille à Émile Zola de partir pour l’Angleterre. Le 18 juillet 1898, l’écrivain est à Londres. Cependant, le procès en révision du jugement de 1894 est en cours. Une décision, positive, est rendue le 3 juin. Le lendemain, Émile Zola rentre à Paris.

Le retentissant article de « l’Aurore », suivi du procès de son auteur, précipite de nouveaux engagements. Dix jours après la parution de l’article, Jaurès interpelle le gouvernement en dénonçant le mensonge, l’arbitraire, la propagande antisémite et la manipulation de la justice. Il publie dans son journal, « la Petite République », à partir d’août 1898, une série d’articles en faveur de Dreyfus qu’il rassemblera en septembre dans une brochure intitulée « Preuves ».

Jules Guesde, un autre socialiste mais pas du même courant, voit dans « la Lettre de Zola, (…) le plus grand acte révolutionnaire du siècle » ! Le 16 février 1899, le premier jugement cassé, Alfred Dreyfus est ramené en France. Mais un nouveau Conseil de guerre a lieu, à Rennes, le 9 septembre. À nouveau, il est reconnu coupable avec « circonstances atténuantes ». Émile Zola fulmine : « Et ce que je crie, c’est la détresse de notre généreuse et noble France, c’est l’effroi de l’abîme où elle roule ! » (« L’Aurore » du 12 septembre). Finalement, le pouvoir recule. Dreyfus est gracié le 19 septembre et libéré deux jours plus tard.

Le combat pour la révision continue. Il durera encore sept ans. Le 29 septembre 1902, Émile Zola meurt asphyxié par la fumée de sa cheminée. Son oraison funèbre est confiée à Anatole France, qui a exigé la présence de Alfred Dreyfus que le préfet de police voulait empêcher : « Devant rappeler la lutte entreprise par Émile Zola pour la justice et la vérité, m’est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d’un innocent et qui, se sentant perdus s’il était sauvé, l’accablaient avec l’audace désespérée de la peur ? »

Réélu aux élections de 1902, Jean Jaurès rouvre le dossier de l’Affaire, que tout le monde à la Chambre des députés croyait clos, le 7 avril 1903. Trois ans plus tard, 12 juillet 1906, Alfred Dreyfus est réhabilité. Il est réintégré dans l’armée avec le grade de chef d’escadron. Le 20 juillet, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

En 1908, il assiste au transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon. Il y est blessé par balle. L’homme qui a tiré est un certain Louis Grégori, un journaliste connu pour son nationalisme et son antisémitisme. Jugé, il sera acquitté. Parmi les témoins de sa défense, on trouvait Armand du Paty de Clam, dont Zola l’avait accusé d’avoir été « l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire ».

Événements historiques

1894-10-15 Capitaine Alfred Dreyfus arrêté et accusé d’espionnage en France

1894-12-22 L’officier français Alfred Dreyfus traduit en cour martiale pour trahison, déclenche des accusations mondiales d’antisémitisme (Dreyfus sera plus tard justifié)

1895-01-05 Capitaine français Alfred Dreyfus, reconnu coupable de trahison, publiquement déchu de son grade ; plus tard disculpé

1898-01-13 Emile Zola publie sa lettre ouverte « J’accuse » accusant le gouvernement français d’accuser Alfred Dreyfus de sabotage

1898-02-23 En France, Emile Zola est emprisonné pour avoir écrit sa lettre « J’accuse » accusant le gouvernement d’antisémitisme et emprisonnant à tort Alfred Dreyfus

1899-09-09 Le capitaine français Alfred Dreyfus condamné pour des motifs injustes

1906-07-12 Alfred Dreyfus reconnu innocent en France

https://www.humanite.fr/histoire/1906-dreyfus-obtient-justice-zola-aussi-611138

https://francearchives.fr/fr/commemo/recueil-2006/39548

https://www.onthisday.com/people/alfred-dreyfus  

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