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// 29 mars 1932 (Page 97- 99 /992) //
Jusqu’où sommes-nous arrivés dans notre voyage à travers les âges ? Nous avons déjà parlé un peu de l’ancien temps en Égypte, en Inde, en Chine et à Knossos. Nous avons vu l’ancienne et merveilleuse civilisation de l’Égypte, qui a produit les Pyramides, se décomposer progressivement, perdre sa force et devenir une ombre vide, une sorte de formes et de symboles, avec peu de vie réelle. Nous avons Knossos qui a été détruit par la race sœur de la Grèce continentale.
En Inde et en Chine, nous avons jeté un coup d’œil aux débuts sombres et lointains, incapables par manque de matière d’en savoir beaucoup, mais conscients de leur riche civilisation même à cette époque ; et s’interroger sur les liens ininterrompus qui unissent les deux pays culturellement à leur passé respectif, il y a plusieurs milliers d’années. En Mésopotamie, nous n’avons eu qu’un aperçu d’un empire après l’autre, florissant pendant un certain temps, puis pour finir comme tous les empires.
Nous avons également dit quelque chose d’un certain nombre de grands penseurs qui sont apparus dans différents pays environ 500 ou 600 ans avant Jésus-Christ. Bouddha et Mahavira en Inde, Confucius et Lao-Tseu en Chine, Zoroastre en Perse et Pythagore en Grèce. Nous avons remarqué que Bouddha a attaqué l’art des prêtres et les formes existantes de l’ancienne religion védique en Inde ; car il a constaté que les masses étaient imposées et trompées par toutes sortes de superstitions et de pujas. Il a attaqué le système des castes et prêché l’égalité.
Nous sommes retournés alors en Occident, où l’Asie et l’Europe se rejoignent, et avons suivi les fortunes de la Perse et de la Grèce – comment un grand empire s’est levé en Perse et Darius, le « roi des rois », l’a étendu jusqu’au Sindh en Inde ; comment cet empire a essayé d’engloutir la petite Grèce, mais a constaté, à sa grande stupéfaction, que la petite chose pouvait se défendre et se maintenir. Puis a suivi la période courte mais brillante de l’histoire grecque dont je vous ai dit quelque chose, où une foule de génies et de grands hommes y ont vécu et y ont produit de la littérature et un art de la plus haute beauté.
L’âge d’or de la Grèce n’a pas duré longtemps. Alexandre de Macédoine a répandu la renommée de la Grèce partout par ses conquêtes, mais avec son arrivée la haute culture de la Grèce s’est progressivement évanouie. Alexandre a détruit l’empire perse et a même traversé les frontières de l’Inde en tant que conquérant. C’était sans doute un grand général, mais la tradition a tissé d’innombrables légendes autour de son nom et il a acquis une renommée qu’il ne mérite guère. Seuls les lettrés savent quelque chose de Socrate ou de Platon ou de Phidias ou de Sophocle ou des autres grands hommes de Grèce. Mais qui n’a pas entendu parler d’Alexandre ? 61
Alexandre a fait relativement peu. L’Empire perse était vieux, chancelant et était à peine susceptible de survivre longtemps. En Inde, la visite d’Alexandre n’était qu’un raid et n’avait que peu d’importance. Peut-être que si Alexandre avait vécu plus longtemps, il aurait pu faire quelque chose de plus substantiel. Mais il mourut jeune et son empire tomba aussitôt en pièces. Mais si son empire n’a pas duré, son nom perdure.
Un grand effet de la marche d’Alexandre vers l’Est fut les nouveaux contacts établis entre l’Est et l’Ouest. Un grand nombre de Grecs sont allés à l’est et se sont installés dans les anciennes villes ou dans les nouvelles colonies qu’ils ont établies. Même avant Alexandre, il y avait des contacts et des échanges entre l’Est et l’Ouest. Mais après lui, cela augmenta considérablement.
Un autre effet possible des invasions d’Alexandre était, s’il est vrai, très malheureux pour les Grecs. Une théorie a été avancée selon laquelle ses soldats ont ramené avec eux le moustique du paludisme des marais de la Mésopotamie jusqu’aux basses terres grecques ; et ainsi le paludisme s’est répandu et affaibli et atténué la race grecque. C’est l’une des explications données du déclin des Grecs. Mais ce n’est qu’une théorie et personne ne sait à quel point il contient de vérité.
L’empire bref d’Alexandre a pris fin. Mais à sa place surgirent plusieurs empires plus petits. Parmi ceux-ci figurait celui de l’Égypte sous Ptolémée et celui de l’Asie occidentale sous Séleucos. Ptolémée et Séleucos étaient tous deux les généraux d’Alexandre. Séleucos a essayé d’empiéter sur l’Inde, mais il a constaté à sa consternation que l’Inde pouvait riposter avec vigueur. Chandragupta Maurya avait établi un État puissant dans tout le nord et le centre de l’Inde.
De Chandragupta et de son célèbre ministre brahmane Chanakya et du livre qu’il a écrit – l’Arthashastra – je vous ai déjà dit quelque chose dans mes lettres précédentes. Heureusement pour nous, ce livre nous donne une bonne image de cette époque en Inde, il y a plus de 2200 ans.
Nous avons terminé notre retour en arrière, et nous continuerons avec l’histoire de l’Empire Mauryan et d’Ashoka dans la prochaine lettre. J’ai promis, en effet, de le faire il y a plus de quatorze mois, le 26 janvier 1931, à la prison de Naini. Je dois encore tenir cette promesse.