Pourquoi Napoléon a-t-il rétabli l’esclavage en 1802 ?Par le décret-loi du 20 mai 1802, le Premier Consul Napoléon Bonaparte légalise l’esclavage. Par pragmatisme d’une dictature, dans le souci de stabiliser les colonies françaises, le Premier Consul n’a voulu, si l’on peut dire, que maintenir l’esclavage là où il subsistait encore.
C’était en 1802. La colonie la plus riche de France, Saint-Domingue, sur l’île antillaise d’Hispaniola, aujourd’hui partagée par Haïti et la République dominicaine, était en ébullition. Alors que d’anciens esclaves combattaient leurs seigneurs français, une alliance de généraux noirs et métis s’est battue pour rétablir l’ordre sous le drapeau français.Puis vinrent des nouvelles de la Guadeloupe, autre colonie française des Caraïbes. Les Noirs libérés qui s’étaient rebellés contre les troupes françaises essayant de les réasservir avaient perdu leur bataille.Le général et dirigeant français Napoléon Bonaparte avait renié une promesse qu’il avait faite cette année-là : le rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises exclurait la Guadeloupe et d’autres territoires où les Noirs avaient été libérés pendant la Révolution française. Mais l’économie a pris le dessus et Bonaparte a rétabli en Guadeloupe des lois qui avaient été annulées lorsque la France avait aboli l’esclavage en 1794.Après huit ans de liberté, les Guadeloupéens noirs sont désormais de retour dans la servitude.Les combattants noirs ainsi que ceux de race mixte – connus dans les Caraïbes sous le nom de mulâtre – ont rapidement compris que la puissante expédition des troupes françaises déployées sous le commandement du beau-frère de Bonaparte, le général d’armée Charles Leclerc, n’était pas à Saint-Domingue juste pour rétablir l’ordre. Leur but était de rétablir l’esclavage et de réaffirmer le contrôle français sur toute l’île après que le chef de la révolte des esclaves Toussaint Louverture eut publié une constitution de 1801 se proclamant gouverneur général à vie et codifiant l’abolition de l’esclavage.Soudain, le mouvement de résistance qui a commencé en 1791 avec une série de rébellions d’esclaves sur l’île – bien que troublé par des conflits internes, des alliances changeantes et l’arrestation et la déportation de Louverture – a été déclenché. Les événements de 1802 donneront naissance à la première nation indépendante dirigée par des Noirs après le colonialisme : Haïti.Une volonté de rétablir les colonies françaises
L’empereur Napoléon souhaitait surtout reconstituer un empire colonial français en Amérique sur les dos des esclaves. Une garantie de prestige, mais surtout un atout économique en exploitant des esclaves noirs : en 1789, un Français sur dix vivait du commerce colonial sous l’ancien régime. Saint-Domingue représentait à elle seule plus de la moitié de la production mondiale de sucre.Une manne qui tenait surtout à l’emploi d’une main-d’œuvre servile dans les plantations : un million d’esclaves arrivèrent aux Antilles au XVIIIe. Autant dire que l’abolition ne faisait pas l’affaire des colons qui, en contrepartie, n’avaient reçu aucune compensation financière. Une inquiétude aggravée par les troubles qui agitaient la région.
Colonies et esclaves pour nourrir de grandes ambitionsMais, vue du point de vue des Caraïbes, l’histoire du rétablissement de l’esclavage par Napoléon est tout sauf marginale.
À la fin des années 1780, la France était une puissance coloniale majeure, ses territoires alimentés par environ 800 000 esclaves. Sa colonie la plus lucrative était Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) dans les Caraïbes. Environ 450 000 esclaves travaillaient dans des plantations exportant du sucre et du café vers la France.Les récits historiques disent que le système était violent et le taux de mortalité si élevé parmi les esclaves que les travailleurs devaient être constamment reconstitués par la traite des esclaves africains.
« Napoléon voulait étendre l’empire colonial français pour contrôler les Caraïbes. Pour coloniser l’immense territoire de la Louisiane en Amérique du Nord, il avait besoin de travailleurs alors il a relancé la traite des esclaves. C’était une stratégie coloniale », a expliqué Dominique Taffin de la Fondation pour la Souvenir de l’esclavage.
« Et pour cela, il devait avoir un contrôle total sur Saint-Domingue car c’était au centre de cette zone géographique. »L’impact durable des actions de NapoléonLors d’événements connus sous le nom de Révolution haïtienne, les esclaves de Saint-Domingue ont lancé en 1791 une rébellion contre la domination coloniale française, le gouverneur Toussaint Louverture devenant un leader révolutionnaire. L’insurrection avait conduit avec succès la France à abolir pour la première fois l’esclavage dans tout son empire en 1794.
Napoléon envoie des troupes pour renverser Louverture et rétablir l’ordre colonial. Louverture est déporté en France. Pendant ce temps, ses compagnons révolutionnaires de Saint-Domingue étaient déterminés à résister au rétablissement de l’esclavage par Napoléon en 1802 et ont mené une guerre brutale d’un an contre les Français. Il y a des récits de violence extrême.En 1803, ils battent l’armée de Napoléon. L’année suivante, les révolutionnaires fondent une nation indépendante et libre, Haïti. C’était la première république du monde fondée par d’anciens esclaves et elle a interdit l’esclavage et la traite des esclaves.
« La défaite de Napoléon à Saint-Domingue est une histoire peu connue. Il a perdu la précieuse colonie, vendu la Louisiane aux Etats-Unis et tourné la page du projet colonial », a déclaré Dominique Taffin.Les conséquences des actions de Napoléon ont cependant duré longtemps après la sortie française de Saint-Domingue – en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, l’esclavage est resté en place jusqu’à ce que les Français l’abolissent définitivement en 1848.
Haïti a également payé un lourd tribut. En 1825, la France impose une indemnité de 150 millions de francs (l’équivalent moderne de 21 milliards de dollars / 17,5 milliards d’euros) à Haïti, sous menace de guerre, afin d’indemniser les anciens esclavagistes. Haïti n’a fini de payer qu’en 1947.Une histoire bien méconnuePeu de personnes en France connaissent cette histoire. Frederic Regent, historien à l’Université de la Sorbonne à Paris, a déclaré qu’il y avait plusieurs raisons à cela.
Depuis la fin du XIXe siècle, les manuels scolaires, a-t-il dit, avaient tendance à faire l’éloge du colonialisme ou à le négliger – comme c’était quelque chose qui s’était passé loin des frontières françaises, il était considéré comme périphérique au récit national ; tandis que le sujet de l’esclavage était « couvert » par son abolition.Surtout après la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Europe se concentrait sur la reconstruction, Napoléon était présenté comme une figure unificatrice entre diverses factions politiques.Un vent de révolte dans les colonies
En 1801, Toussaint Louverture s’était proclamé gouverneur à vie de Saint-Domingue. La même année, en Guadeloupe, à Sainte-Anne et Pointe-à-Pitre, des officiers noirs se soulevaient contre le pouvoir colonial. L’empire caraïbe était menacé. La réaction fut violente, d’autant qu’autour de Bonaparte gravitait un puissant lobby colonial.
A sa tête, Cambacérès, deuxième consul, et Talleyrand, ministre des Relations extérieures.
Loi du 20 mai 1802 sur la traite des noirs et le régime des colonies
Après l’envoi de corps expéditionnaires en Guadeloupe et à Saint-Domingue pour mater la rébellion, un décret réintroduisit l’esclavage le 20 mai 1802.
Une erreur stratégique : si l’ordre fut rétabli en Guadeloupe, l’escalade de la violence à Saint-Domingue aboutit à une révolution haïtienne et en 1804 à la proclamation d’indépendance. Il faudra attendre 1848 pour l’abolition de l’esclavage en France.
https://www.nationalgeographic.com/history/article/napoleon-bonaparte-enlightened-leader-or-tyrant
https://courses.lumenlearning.com/suny-hccc-worldhistory2/chapter/napoleon-and-the-new-world/
https://www.dw.com/en/remembering-that-napoleon-reinstated-slavery-in-france/a-57408273
https://www.geo.fr/histoire/1802-pourquoi-napoleon-a-t-il-retabli-lesclavage-194999