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30 octobre 2009 – Claude Lévi-Strauss, anthropologue social et ethnologue français (structuralisme)

Aucune description de photo disponible.Biographie et bibliographie Anthropologue françaisClaude Levi-Strauss | PPTClaude Lévi-Strauss [1908-2009]Detail Claude Levi Strauss Quotes Koleksi Nomer 13Né à Bruxelles de parents français, le 28 novembre 1908, Claude Lévi-Strauss étudie à Paris le droit jusqu’à la licence, et la philosophie ; il est reçu à l’agrégation de philosophie en 1931. Tout en enseignant cette discipline, il milite activement à la SFIO. Sa carrière d’ethnologue débute en 1934, lorsqu’il est invité à venir enseigner la sociologie à São Paulo, où il restera jusqu’en 1939. C’est à cette occasion qu’il séjourne parmi les populations indiennes nambikwaras, caduvéos et bororos, et mène ses seules enquêtes de terrain.Theories & Methods of Anthropology - ppt downloadRentré en France, mobilisé au service des PTT, puis affecté au lycée de Montpellier, il réussit, après sa révocation en raison des lois raciales, à se rendre aux Etats-Unis en 1941, sur un paquebot où il voyage avec André Breton. Il enseigne à l’Ecole libre des hautes études, et à la New School for Social Research de New York ; c’est alors qu’il découvre les travaux fondamentaux de la linguistique et de l’anthropologie, et notamment ceux de Roman Jakobson (1896-1982) et de Franz Boas (1858-1942).  De 1945 jusqu’à la fin de 1947, il est conseiller culturel auprès de l’ambassade de France à Washington. En 1948, il publie la Vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara et soutient sa thèse les Structures élémentaires de la parenté. Ces deux premières œuvres, significatives, le font docteur d’Etat.Set Products COMPONENT 1 Kiss of the VampireD’abord maître de recherches au CNRS puis sous-directeur du musée de l’Homme, il est ensuite nommé directeur d’études à la 5e section (dite des sciences religieuses) de l’Ecole pratique des hautes études, à l’ancienne chaire de Marcel Mauss, rebaptisée «chaire des religions comparées des peuples sans écriture». C’est l’époque de maturation, avec le très célèbre Tristes Tropiques (1955 ; Race et Histoire était paru en 1952) et le recueil d’articles qui va définir son projet scientifique, Anthropologie structurale (1958).CEEOL - Book DetailLa troisième étape de sa carrière est celle de la célébrité internationale. En 1959, il est élu à la chaire d’anthropologie sociale du Collège de France ; il y fonde l’année suivante le laboratoire d’anthropologie sociale et la revue l’Homme. Ses travaux sont alors marqués par une double réflexion : d’une part, l’élaboration théorique de l’objet même de l’anthropologie, dans le Totémisme aujourd’hui et surtout dans son œuvre majeure, la Pensée sauvage ; d’autre part, l’application de ces principes dans l’imposante tétralogie de plus de 2 000 pages, les Mythologiques (le Cru et le Cuit, Du miel aux cendres, l’Origine des manières de table, et l’Homme nu). La consécration vient en 1973 avec son élection à l’Académie française.  L’œuvre n’est pas terminée pour autant.The basic idea of structuralism Les recueils d’articles, de comptes rendus de séminaires et d’entretiens se multiplient, même après la retraite, prise en 1982 (le Regard éloigné, 1983 ; Paroles données, 1984 ; De près et de loin, 1988 ; Des symboles et leurs doubles, 1989). Par ailleurs se poursuit la quête des mythologies par une approche esthétique dans la Voie des masques, et la reprise de certains mythes dans la Potière jalouse et Histoire de lynx. Il éclaire les arcanes de sa pensée à travers les essais esthétiques de Regarder Ecouter Lire.What Is Barthes Semiotics TheoryL’œuvre de Claude Lévi-Strauss symbolise l’avènement de l’anthropologie dans le champ des sciences sociales françaises au cours des années 1960, et elle a participé du courant d’idées qualifié de structuraliste. Fondée sur l’élucidation du fonctionnement de l’esprit humain, l’interprétation théorique manifeste une recherche des liens entre nature et culture, notamment dans les systèmes de parenté et la production des mythes. Sa vision pessimiste de l’évolution actuelle de l’humanité fait aussi apparaître Lévi-Strauss comme un anthropologue philosophe, héritier de Jean-Jacques Rousseau. En outre, il ne cesse de manifester un vif intérêt pour les créations et les conceptions esthétiques des sociétés qu’il étudie et pour celles de la sienne.What Is Barthes Semiotics TheoryL’organisation sociale et la parenté

Comme tout ethnologue, Lévi-Strauss commence par rédiger une monographie consacrée à une population au sein de laquelle il a vécu et qu’il a étudiée sur le terrain, les Nambikwaras des plateaux du Brésil central ; il fera le récit de son séjour dans Tristes Tropiques. Mais son ambition est plus grande, et il veut faire œuvre de sociologie comparée en présentant «une introduction à une théorie générale des systèmes de parenté». Pour lui, c’est la prohibition de l’inceste qui fonde la possibilité de toute société, puisque cet interdit relève à la fois de la nature et de la culture. Les solutions pour satisfaire à cette interdiction définissent la nature de l’échange matrimonial, qui est «le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance». Les structures élémentaires de la parenté peuvent être produites par l’échange restreint, par lequel les femmes d’un groupe sont cédées aux hommes d’un autre groupe et réciproquement, ou par l’échange généralisé, qui fait intervenir plusieurs groupes. Grâce à une impressionnante culture ethnographique (qui porte également sur les systèmes indien et chinois), l’anthropologue démontre que l’échange généralisé est la règle de l’échange. Lévi-Strauss se place d’emblée sur deux registres. Il élabore, en premier lieu, une synthèse théorique et analytique du domaine de la parenté. Claude Lévi-Strauss | Vegan quotes, Vegan, Photo and videoC’est par l’échange des femmes entre groupes spécifiques que se construisent et se perpétuent la société et l’espèce humaine. Le second champ d’investigations est bien plus ambitieux, car il propose une nouvelle méthode, inspirée de la phonologie structurale et même de la psychanalyse, pour expliquer les mécanismes symboliques et, par conséquent, sociaux. C’est en fait à une théorie générale de l’échange et de la communication que l’anthropologue nous convie : les signes, les femmes et les biens s’échangent et permettent ainsi, par des combinaisons structurées, de construire inconsciemment les relations sociales, d’ordre religieux (mythes et rites), économique et familial. Fort de son expérience et de sa connaissance des anthropologies américaine et anglo-saxonne, Lévi-Strauss popularise cette discipline en France, et conclut que «l’anthropologue est l’astronome des sciences sociales : il est chargé de découvrir un sens à des configurations très différentes, par leur ordre de grandeur et leur éloignement, de celles qui avoisinent immédiatement l’observateur». Par la suite, Lévi-Strauss donnera à sa démarche le nom d’«anthropologie structurale»L'Herne – Cahier Claude Lévi-Strauss.La pensée sauvage

Dès le milieu des années 1940, Lévi-Strauss manifeste sa volonté d’interpréter la vie des sociétés et des cultures en termes de logique inconsciente. Certes, il est parfois difficile aujourd’hui de séparer cette perspective de celle de la méthode, à la fois analytique et explicative, dite structurale. Mais il est évident que les propriétés de ce qu’il va qualifier de «pensée sauvage» sont à la fois structurées et structurantes. Le primat des formes inconscientes vient de ce qu’elles fonctionnent comme un langage, donc comme une structure, mais aussi de ce qu’elles expriment un mode de lecture, voire de fabrication, du monde. Cette vision, peut-être sommaire et métaphorique, du rôle de l’inconscient s’explique par la nature même de la réalité, institutionnelle (la parenté) ou matérielle (l’esthétique des objets), sur laquelle travaille l’anthropologue.  Alors que Lévi-Strauss se penche, dès 1955, sur la structure des mythes, c’est l’analyse du phénomène totémique, et notamment la critique des théories victimes de l’«illusion» qu’il représente, qui vont le conduire à employer, en 1962, l’expression de «pensée sauvage». Structuralism - AnthroManiaIl l’emploie pour décrire le fonctionnement de la pensée à l’état brut, «naturel», «sauvage» en quelque sorte, telle qu’on peut l’observer même dans les sociétés où se développe une pensée scientifique, et non pour qualifier celle des peuples dits sauvages. Cette pensée est «rationnelle» : ses visées explicatives ont une portée scientifique. En effet, la pensée sauvage «codifie, c’est-à-dire classe rigoureusement en s’appuyant sur les oppositions et les contrastes, l’univers physique, la nature vivante et l’homme même tel qu’il s’exprime dans ses croyances et ses institutions. Elle trouve son principe dans une science du concret, une logique des qualités sensibles telle qu’on la retrouve dans certaines activités comme le bricolage».

Ces réflexions sont à la fois un aboutissement de plus de quinze ans de recherches et la manifestation d’une préoccupation qui est de plus en plus, depuis trente ans, identifiée à l’œuvre même de Lévi-Strauss, celle de l’analyse des mythes indiens d’Amérique – analyse qui débouche sur une interrogation quant au statut de l’ethnologue et de sa méthode, double «mytho-poétique» de l’objet qu’elle étudie.ImageL’univers des mythes

D’une certaine façon, les Mythologiques ne sont que la longue et complexe vérification de l’hypothèse de la pensée sauvage, puisque «les mythes signifient l’esprit qui les élabore au moyen du monde dont il fait lui-même partie». Les mythes ne présentent aucun sens premier, ni dans leur intrigue ni dans leur symbolique. C’est leur travail sur et dans la nature, ainsi que leurs rapports («les mythes se pensent entre eux») qui leur permettent de signifier. C’est donc ce renvoi et ce comparatisme de mythe (ou ensemble de mythes) à mythe qui constituent la matière première de l’anthropologue. Le point de départ est un mythe des Indiens Bororos du Brésil central : le mythe M1, dit de référence, des aras et du nid intitulé par Lévi-Strauss «Air du dénicheur d’oiseaux» ; le dernier, le M813, 2’000 pages plus loin, est un mythe apinaye – ethnie appartenant au groupe linguistique gê de la région amazonienne. Entre les deux sont rapportés les mythes de plus d’une centaine de populations, depuis les Guaranis du sud du Brésil jusqu’aux Salishs du nord-ouest du Canada.ImageLa méthode de démonstration fonctionne à trois niveaux : celui d’un mythe donné, celui d’un ensemble de mythes voisins avec leurs variantes et enfin celui de tous les mythes possibles qui valident la logique structurale et binaire de la pensée sauvage grâce aux procédures d’opposition, d’homologie, de symétrie, d’inversion ou encore d’équivalence. La première tâche est donc d’ordre ethnographique, puisqu’il faut reconnaître avec précision les catégories empiriques (cru, cuit, pourri, frais, mouillé, brûlé, etc.) qui vont devenir autant d’outils conceptuels. Le comparatisme systématique, l’usage de signes logico-mathématiques (sous la forme d’équations, de transformations ou d’isomorphisme sur lesquels l’anthropologue a peu d’illusions) permettent d’identifier des mythèmes qui valident telle ou telle hypothèse particulière : les mythèmes sont les plus petits éléments du mythe, brefs exposés de la succession des événements dans la narration.

Certes, les mythes ne sont pas que des machines abstraites ; ils produisent bien un sens : l’origine de la cuisson des aliments, la raison de telle coutume matrimoniale, la place rituelle de telle ou telle espèce, etc. Ce sens n’apparaît pas à ceux qui produisent ou transmettent les mythes ; le travail de déconstruction, d’une part, l’établissement de la chaîne référentielle des éléments mythiques et des mythes, de l’autre, ressortissent au savoir et au savoir-faire de l’anthropologue. La logique mythique n’est telle que parce que l’analyste s’efforce de réduire l’incertitude au maximum.ImageAinsi les effets sociaux et esthétiques des mythes sont-ils considérés, en un sens, comme secondaires. Pourtant, les quelque mille mythes de cet ouvrage restituent une foisonnante culture et un monde intellectuel d’une originalité irréductible. Nous ne pouvons qu’admirer l’imagination de ces populations et la qualité des documents ethnographiques dépouillés par Lévi-Strauss.

Les finalités de l’anthropologie ImageL’œuvre de Lévi-Strauss refuse toute explication fondée sur le fonctionnalisme ou le finalisme des cultures et des systèmes sociaux. Pourtant, l’anthropologue semble hésiter entre l’idéalisme le plus extrême et un matérialisme biologique. Le monde ne serait qu’un prétexte à penser et pour la pensée ; les lois de la structure prennent le pas sur l’histoire et la création de l’événement. L’esprit n’est pas reflet, il est contraint. Mais c’est parce que le cerveau, aux lois biochimiques et binaires, est là. La conclusion de l’Homme nu rappelle que «l’analyse structurale ne peut émerger dans l’esprit que parce que son modèle est déjà dans le corps».

Si les mythes sont devenus des objets, c’est bien parce que les objets sont eux aussi mythiques : «L’Univers, la nature, l’homme n’auront rien fait d’autre qu’à la façon d’un vaste système mythologique déployer les ressources de leur combinatoire avant de s’involuer et de s’anéantir dans l’évidence de leur caducité.»  Cet antihumanisme désabusé se retrouve dans les réflexions consacrées au racisme, à la condition humaine, à la liberté : la lutte antiraciste peut conduire à négliger les particularismes et les sociétés partielles. Il serait bon de protéger «les longues habitudes», parce que les sociétés qu’étudie l’ethnologue «exposent, peut-être mieux que des sociétés plus complexes, les ressorts intimes de toute vie sociale et quelques-unes de ses conditions qu’on peut tenir pour essentielles».Difference Between Structuralism and Functionalism | Theory of Structuralism and Functionalism, Drawbacks, FocusClaude Lévi-Strauss, une présentation

Claude Lévi-Strauss est sans doute l’anthropologue dont l’œuvre aura exercé la plus grande influence au XXe siècle. Son nom est indissociable de ce qu’à sa suite on a appelé l’anthropologie structurale. Dans le foisonnement des approches qu’a connu le champ des sciences sociales au XXe siècle, celle-ci occupe une position particulière : ni relecture hardie d’un système explicatif déjà reconnu, ni théorie régionale d’une classe de phénomènes circonscrits, l’anthropologie structurale est d’abord une méthode de connaissance originale, forgée dans le traitement de problèmes particuliers à une discipline, mais dont l’objet est en principe si vaste et la fécondité si remarquable, qu’elle a rapidement exercé son influence très au-delà du champ de recherche qui l’a vu naître.

Rarement aussi un modèle d’analyse du fait social aura-t-il été si étroitement confondu avec la personne de son créateur, au point que le structuralisme anthropologique a pu parfois apparaître comme un système de pensée rebelle à toute application par d’autres que celui qui en était à l’origine. Lévi-Strauss en formule les principes dès son séjour aux États-Unis, à la suite de sa découverte de la linguistique structurale et des travaux de N. Troubetzkoy et de R. Jakobson (rencontré à New York, ce dernier deviendra un ami). Dès cette époque, en effet, il est persuadé que l’ethno­logie doit suivre la même voix que la linguistique si elle veut acquérir le statut d’une science rigoureuse. Par ailleurs très tôt convaincu par la fréquentation de ses « trois maîtresses » – Freud, Marx et la géologie – que la science sociale ne se bâtit pas à partir de la réalité manifeste, mais en élucidant l’ordre inconscient où se révèle l’adéquation rationnelle entre les propriétés de la pensée et celles du monde, il découvre dans la phono­logie un modèle exemplaire pour mettre en œuvre son intuition.Une page du journal organisé comme une Une avec quelques photos de son retour à l'université de São Paulo et un deuxième titre qui parle de « passion »Ce modèle présente quatre caractéristiques remarquables : il abandonne le niveau des phénomènes conscients pour privilégier l’étude de leur infrastructure inconsciente ; il se donne pour objet d’analyse non pas des termes, mais les relations qui les unissent ; il s’at­tache à montrer que ces relations forment système ; enfin, il vise à découvrir des lois générales. Dès cette époque, Lévi-Strauss fait l’hypothèse que ces quatre démarches combinées peuvent contribuer à éclaircir les problèmes de parenté en raison de l’analogie formelle qu’il décèle entre les phonèmes et les termes servant à désigner les parents. Les uns comme les autres sont des éléments dont la signification provient de ce qu’ils sont combinés en systèmes, eux-mêmes produits du fonc­tionnement inconscient de l’esprit, et dont la récurrence en maints endroits du monde suggère qu’ils répondent à des lois universelles.ImageToutes les idées-force de l’anthropologie structurale sont déjà présentes dans cette épure, y compris le concept d’échange, issu d’un autre héritage intellectuel, celui de l’Essai sur le don de Marcel Mauss, et qui occupera le devant de la scène dans Les Structures élémentaires de la parenté. Au départ de ce livre, Lévi-Strauss pose en effet que la prohibition de l’inceste doit être vue comme l’en- vers universel et négatif d’une règle de réciprocité positive commandant l’échange des femmes dans les systèmes d’al­liance matrimoniale. Cette perspective renouvelait radi­calement l’approche des phénomènes de parenté en délaissant le point de vue de la sociologie des modes de filiation et des principes de constitution des groupes de descendance comme celui de leur reconstruction histo­rique conjecturale, où s’étaient jusque-là cantonnés le fonctionnalisme et l’évolutionnisme.

Elle y substituait une théorie générale de l’alliance de mariage qui éclaire en retour la nature et le fonctionnement des unités sociales en jeu dans la parenté – clans, lignages, groupes exogames – tout en les replaçant dans un ensemble plus vaste. Elle fondait en outre la généralité et la récurrence des règles ordonnant les systèmes d’échange matrimonial sur les structures de l’esprit, seule base logique permettant, selon Lévi-Strauss, de garantir le postulat de l’unité de l’homme dans la diversité de ses productions culturelles. En témoigne l’organisation dualiste, un système extrê­mement commun dans lequel les membres de la commu­nauté sont répartis en deux moitiés qui entretiennent tout un éventail de relations complexes d’interdépendance.

L’institution révèle nettement les mécanismes classifica­toires de la parenté – chacun se définit par l’appartenance à sa moitié – et au-delà, le rôle crucial du principe de réci­procité, dont l’organisation dualiste apparaît comme la réalisation la plus directe, mais qui peut également s’in­carner dans de multiples autres formes de vie sociale. Entre toutes ces formes, affirme Lévi-Strauss, il y a diffé­rence de degré et non de nature, car leur base commune repose sur des structures fondamentales de l’esprit humain : le principe de réciprocité, l’exigence de la règle comme règle et le caractère synthétique du don, c’est-à-­dire le fait que le transfert consenti d’une valeur d’un indi­vidu à un autre change ceux-ci en partenaires et ajoute une qualité nouvelle à la valeur transférée .

C’est donc, en définitive, dans la nature de l’homme, dans des schèmes formels et universels profondément inscrits dans son esprit, mais pas toujours consciemment appréhendés, que réside le fondement des institutions matrimoniales et, plus largement, de la culture elle-même, dont la prohibition de l’inceste marque l’émergence. Une telle profession de foi n’est idéaliste qu’en apparence, car dès Les Structures élémentaires de la parenté et tout au long de son œuvre, Lévi-Strauss se dit convaincu que les lois de la pensée ne différent pas de celles qui ont cours dans le monde physique et dans la réalité sociale, qui n’en est elle-même qu’un des aspects.

L’intitulé que Lévi-Strauss avait donné à sa direction d’études à la VIe section de l’EPHE lors de son retour en France est le même que celui qu’il adopta plus tard pour sa chaire au Collège de France, « anthropologie sociale ». Le choix de ces termes définit bien le changement de perspective qu’il a apporté aux études ethnologiques. Si elle était employée depuis des décennies dans les pays anglo-saxons, l’expression « anthropologie sociale » était inusitée en France au sortir de la guerre ; évocatrice du projet universaliste propre aux anthropologies philoso­phiques, elle impliquait également une hiérarchie des modes et des objets de connaissance, dont l’ethnogra­phie et l’ethnologie sont les autres termes, non pas selon un ordre de dignité décroissant, mais en fonction de leur articulation interne dans les différentes étapes de la démarche scientifique . Analytique et descriptive, l’ethno­graphie correspond aux premiers stades de la recherche : c’est l’enquête sur le terrain et la collecte de données de toutes sortes sur une société particulière, aboutissant ordi­nairement à une étude monographique, circonscrite dans le temps et dans l’espace.

L’ethnologie prolonge l’ethno­graphie et représente un premier effort de synthèse visant à des généralisations suffisamment vastes à un niveau régional (ensemble de sociétés voisines présentant des affinités) ou thématique (attention portée sur un type de phénomène ou de pratique commun à de nombreuses sociétés) pour que le recours à des sources ethno­graphiques secondaires en constitue le préalable obligé et la mise au jour de propriétés comparables, le résultat attendu. Plus rarement menée à bien, l’anthropologie représente le dernier moment de la synthèse : sur la base des enseignements de l’ethnographie et de l’ethnologie, elle aspire à produire une connaissance globale de l’homme en découvrant les principes qui rendent intelli­gible la diversité de ses productions sociales et de ses représentations culturelles au long des siècles et à travers les continents.

Malgré l’intitulé de son enseignement à la VIe section, Lévi-Strauss tendra pourtant à partir de la deuxième moitié des années 1950 à privilégier l’anthropologie culturelle plutôt que l’anthropologie sociale. Fidèle à son projet de dresser un inventaire des « enceintes mentales » à partir de l’expérience ethnographique, et convaincu que l’anthropologie est d’abord une psychologie, il délaissera progressivement le champ des études sociologiques pour se consacrer à l’étude des différentes manifestations de la pensée mythique. Rien ne garantit, en effet, que les contraintes mises au jour dans les systèmes de parenté soient d’origine mentale ; elles ne sont peut-être qu’un reflet dans la conscience des hommes de «certaines exigences de la vie sociale objectivées dans les institutions». La mythologie ne présente pas cette ambi­guïté, car elle n’a aucune fonction pratique, et révèle donc à l’analyste sous une forme particulièrement pure les opéra­tions d’un esprit non plus condamné à mettre en ordre une réalité qui lui est extérieure, mais libre de composer avec lui-même comme par dédoublement. Les travaux sur la « pensée sauvage » constituent une étape intermédiaire dans cette tentative de remonter toujours plus avant vers les lois inconscientes de l’esprit.

Les systèmes de classification et les opérations rituelles des sociétés sans écriture portent bien sur des objets, généralement naturels, et sur leurs connexions présumées, mais ils rendent également manifestes des opéra­tions mentales (classement, hiérarchisation, causalité, homo­logie…) qui ne diffèrent pas au fond de celles de la pensée scientifique, même si les phénomènes auxquels elles s’ap­pliquent et les connaissances qu’elles produisent peuvent les en faire paraître très éloignées. La pensée sauvage s’exerce en effet d’abord sur les catégories sensibles, débusquant et ordonnant les caractères visibles les plus remarquables des objets naturels pour les convertir en signes de leurs propriétés cachées. À la différence des concepts abstraits dont use la science, ces signes sont encore englués dans les images d’où ils tirent leur existence, mais ils possèdent néan­moins déjà un degré suffisant d’autonomie par rapport à leurs référents pour pouvoir être employés, au sein de leur registre limité, à d’autres fins que celles auxquelles ils étaient initialement destinés. Structuralism l What is it l A literaryLa logique du sensible est ainsi un «bricolage intellectuel», exploitant un petit répertoire de relations permutables au sein d’un ensemble qui forme système, le « groupe de transformation », et tel que la modi­fication d’un de ses éléments intéressera nécessairement tous les autres. L’analyse structurale n’a donc pas seulement pour ambition d’élucider la logique cachée à l’œuvre dans la pensée mythique ; ce qu’elle vise à travers l’étude de la « pensée des sauvages », c’est à éclairer cette part de « pensée à l’état sauvage » que chacun d’entre nous recèle comme un résidu d’avant la grande domestication rationnelle.

En 1959, Claude Lévi-Strauss est élu professeur au Collège de France grâce à l’intervention décidée de Maurice Merleau-Ponty. Cette consécration sanctionnait une œuvre désormais reconnue et admirée par un large cercle de savants et d’intellectuels autour du monde, mais elle témoignait aussi, a contrario, de la résistance de l’uni­versité traditionnelle à accueillir en son sein des re­cherches s’éloignant par trop de l’orthodoxie. La reprise de l’intitulé « anthropologie sociale » ne signalait pas pour autant un retour vers les problèmes sociologiques. La période qui s’ouvre sera en effet placée sous le signe de l’étude des mythes et aboutira à la publication, échelonnée sur huit ans, des quatre volumes des Mythologiques dont les leçons au Collège de France fourniront la matière. STRUCTURALISM WITH EXAMPLE// LITERARY THEORY// BASICS - YouTubePlus encore que d’autres produits de la pensée sauvage, les mythes semblent le fruit d’une liberté créatrice totalement dégagée des contraintes du réel ; la mise en lumière de leurs lois de fonctionnement devrait donc permettre de remonter plus avant dans la compré­hension d’un esprit qui se prend lui-même comme objet, sans que les sujets parlants aient conscience de la manière dont il procède. Chaque mythe pris séparément est, en effet, une histoire déraisonnable, sans véritable signifi­cation hormis l’enseignement moral que ceux qui le racontent se croient parfois fondés à en tirer. C’est que le sens ne procède pas du contenu de tel ou tel mythe abusi­vement privilégié, mais de la mise en résonance de milliers de mythes qui, par-delà la diversité apparente de leurs contenus et l’éloignement des populations qui les ont élaborés, tissent tout autour du monde une trame logique en perpétuelle transformation et dont les multiples combi­naisons dessinent le champ clos des opérations de l’esprit humain. L’analyse structurale des mythes ne saurait donc prétendre à l’exhaustivité, puisque, progressant au gré des associations d’une chaîne syntagmatique à partir d’un mythe de référence arbitrairement choisi, elle ne peut aspirer qu’à découper dans cette trame immense des matrices de signification fragmentées qu’un autre chemi­nement aurait peut-être ignorées. Récit d’un itinéraire dans la terre ronde des mythes plutôt que géographie universelle de leurs réseaux, les Mythologiques invitent à reprendre un voyage que Lévi-Strauss lui-même n’a cessé de poursuivre.

L’œuvre scientifique considérable de Lévi-Strauss ne doit pas faire oublier l’importance de sa réflexion morale : dénonçant sans relâche l’appauvrissement conjoint de la diversité des cultures et des espèces naturelles, il a toujours vu dans l’anthropologie un instrument critique des préjugés, notamment raciaux, en même temps qu’un moyen de mettre en œuvre un humanisme «généralisé», c’est-à-dire, non plus, comme à la Renaissance, limité aux seules sociétés occidentales, mais prenant en compte l’expérience et les savoirs de l’ensemble des sociétés humaines passées et présentes. Loin de conduire vers une improbable civilisation mondiale abolissant les singularités, cet humanisme prend acte au contraire de ce que, en matière esthétique et spirituelle, toute créa­tion véritable impose à un individu comme à une culture de puiser dans ses particularismes pour mieux les contraster avec d’autres valeurs. La question esthétique forme du reste un fil conducteur dans la pensée de Lévi-Strauss, non seulement parce qu’il a considéré les formes d’expression artistiques – ou perçues comme telles – des sociétés non occidentales à la fois comme un défi à la rationalité de l’Occident et un objet légitime de savoir anthropologique, mais aussi parce que son œuvre se nourrit d’une réflexion profonde sur le rôle de la musique et de la peinture comme médiations entre le sensible et l’intelligible qui fait de celle-ci une contribu­tion de premier plan à la théorie esthétique.

L’influence de l’anthropologie structurale s’est déve­loppée de diverses manières selon les époques et selon le type de milieu intellectuel qu’elle touchait. Au sortir de la guerre, les ethnologues français de la génération de Lévi-Strauss (Soustelle, Griaule, Leroi-Gourhan) étaient eux-mêmes trop engagés dans leurs propres œuvres pour subir profondément l’influence de ses idées, aussi est-ce plutôt à l’étranger, en Angleterre et aux Pays-Bas notam­ment, que celles-ci rencontrèrent d’emblée un écho. En France, ce furent principalement des linguistes (Benveniste, Dumézil), des philosophes (Koyré, Merleau-Ponty), des historiens (Febvre, Braudel, Morazé) qui, au début des années 1950, ont su apprécier l’originalité des perspectives qu’il ouvrait. La parution en 1955 de Tristes Tropiques fera découvrir l’originalité de la pensée de Lévi-Strauss, et la prose d’un grand écrivain, à un plus large public et contribuera pendant longtemps à susciter des vocations pour l’ethnologie. Cela dit, l’anthropo­logie structurale stricto sensu ne saurait avoir d’autre interprète légitime que son fondateur, personne n’adhé­rant à la totalité des postulats, des règles de méthode et des conclusions qui définissent la particularité de l’en­treprise lévi-straussienne. Structuralism | Formalist Approach | Lecture:13 | Linguistics-II - YouTubeNombreux, en revanche, sont les chercheurs français qui se reconnaissent dans ce que l’on pourrait appeler une ethnologie structuraliste, dont l’homogénéité est d’ailleurs mieux perceptible lorsqu’elle est vue de l’étranger en raison des spécificités qu’elle manifeste par rapport à d’autres traditions anthropolo­giques nationales. Quelques traits la distinguent, sans que leur somme constitue nécessairement un credo partagé : la conviction que l’anthropologie a pour tâche d’élucider la variabilité apparente des phénomènes sociaux et culturels en mettant au jour des invariants minimaux, c’est-à-dire des régularités récurrentes dans l’organisation de systèmes de relations entre des classes d’objets ou de rapports dont le fonctionnement obéit le plus souvent à des règles inconscientes ; l’hypothèse que ces invariants sont fondés sur des déterminations maté­rielles (la structure du cerveau, les caractéristiques biolo­giques de l’homme, les modalités de son activité productive ou les propriétés physiques des objets de son environnement) comme sur certains impératifs trans­historiques de la vie sociale ; enfin, la précédence accordée aux analyses synchroniques sur les analyses diachroniques, non par rejet de toute dimension histo­rique, mais par refus de la position empiriste consistant à rendre compte de la genèse d’un système avant d’en avoir défini la structure.

Enfin, et parce qu’elle était une méthode de connais­sance extensible par principe à n’importe quel phéno­mène social et culturel, l’anthropologie structurale a aussi su trouver une audience hors du champ tradi­tionnellement couvert par l’ethnologie. Parmi certains philosophes, qui accueillaient sans déplaisir une pensée récusant le primat de la conscience et du sujet (Merleau-Ponty, Foucault, Althusser, Deleuze). Parmi les histo­riens aussi, surtout les antiquisants, les médiévistes et les spécialistes des sociétés non européennes, séduits tout autant par la méthode lévi-straussienne que par la tenta­tion d’appréhender leurs objets respectifs avec le « regard éloigné » dont se prévaut l’ethnologue enquê­tant chez un peuple exotique. Il est vrai que des histo­riens comme J.-P. Vernant menaient depuis longtemps des analyses tout à fait structurales et que son influence, combinée à celle de Dumézil et de Lévi-Strauss, contribua de façon décisive à une certaine « orientation structuraliste » des études sur l’antiquité.

Claude Lévi-Strauss (1908-2009)

Anthropologue social français et principal représentant du structuralisme, un nom appliqué à l’analyse des systèmes culturels (par exemple, la parenté et les systèmes mythiques) en termes de relations structurelles entre leurs éléments. Lévi-Strauss considérait la langue comme un dénominateur commun essentiel sous-jacent aux phénomènes culturels, une vision qui constitue la base de ses théories concernant les relations entre des éléments sociétaux tels que la religion, le mythe et la parenté. Ses livres comprennent l’Anthropologie structurale en deux volumes (1958 ; 1973).

Le structuralisme a influencé non seulement les sciences sociales du XXe siècle, mais aussi l’étude de la philosophie, de la religion comparée, de la littérature et du cinéma.

 http://classiques.uqac.ca/contemporains/Levi-Strauss_Claude/Levi-Strauss_Claude_bio/auteur_photo.html

https://todayinsci.com/10/10_30.htm#death

http://las.ehess.fr/index.php?1334

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