Dans un procès historique, pour crimes contre l’humanité, première procédure au monde liée aux exactions commises par le régime de Bachar al-Assad
La justice allemande rend jeudi 13/01/2022 un verdict historique dans le procès d’un ancien colonel des services de renseignement syrien poursuivi pour crimes contre l’humanité, première procédure au monde liée aux exactions commises par le régime de Bachar al-Assad.
Un ancien colonel des services de renseignement syrien a été condamné jeudi, par la justice allemande, à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. Il s’agit de la deuxième condamnation dans ce procès après celle, en février 2021, d’un ancien agent plus subalterne du renseignement syrien. Ce procès est le premier au monde lié aux exactions attribuées au régime de Bachar al-Assad. La Haute Cour régionale de Coblence (ouest) a reconnu coupable Anwar Raslan, 58 ans, de la mort et de la torture de prisonniers dans un centre de détention secret du pouvoir à Damas, entre 2011 et 2012. Les juges ont retenu la culpabilité de l’ex-haut gradé pour le meurtre de 27 personnes dans le centre de détention d’Al-Khatib, dit aussi branche 251. Près de onze ans après le début du soulèvement populaire en Syrie, l’audience qui s’achève était la première à examiner les crimes imputés au régime syrien et maintes fois documentés par des activistes syriens et des ONG. En 2016, une commission d’enquête de l’ONU avait accusé le régime Assad d’«exterminer» des détenus.
Impassible au tribunal
Anwar Raslan, qui dirigeait le service des enquêtes de la branche 251 du tentaculaire appareil de sécurité syrien, est resté muet tout au long de ce procès-fleuve entamé le 23 avril 2020. Jeudi matin, il a écouté le verdict, traduit en arabe, sans émotion apparente, a constaté une journaliste. En mai 2020, ses avocats avaient toutefois lu une déclaration écrite dans laquelle l’ancien officier niait son implication présumée dans la mort et la torture de détenus. Une affirmation qu’il a répétée début janvier, via la lecture d’une nouvelle déclaration par son interprète, avant que la Cour ne se retire pour délibérer. Dans un premier volet de ce procès très suivi par l’importante communauté syrienne en exil, la Haute Cour régionale de Coblence avait condamné en février 2021 Eyad al-Gharib, un ancien membre de ces services de renseignement, à 4 ans et demi de prison.
Coups de pied et électrochocs
Au moins une douzaine de victimes ont assisté au verdict. Des familles syriennes s’étaient rassemblées en tout début de matinée devant le tribunal, tenant des banderoles et des affiches demandant «Où sont-ils?» en référence à leurs frères et sœurs disparus dans les centres de détention syriens. Plus de 80 témoins ont défilé à la barre, dont 12 déserteurs et de nombreuses victimes qui ont exposé les sévices endurés dans des cellules insalubres et bondées de ce centre de détention secret : électrochocs, coups de pied et de câble, etc. Pour la première fois, des photos de «César» ont été présentées dans un tribunal. Cet ex-photographe militaire avait exfiltré, au péril de sa vie, plus de 50’000 clichés montrant des milliers de détenus morts suppliciés.
Réfugié à Berlin
Anwar Raslan, en détention provisoire depuis trois ans, n’a jamais fait mystère de son passé lorsqu’il trouva refuge à Berlin avec sa famille en 2014. Ses défenseurs n’ont cessé depuis d’arguer qu’il avait fait défection dès 2012 et avait tenté de ménager les prisonniers. Un autre procès lié au régime syrien, celui d’un médecin réfugié en Allemagne, doit s’ouvrir jeudi prochain à Francfort. Pour ces procédures, l’Allemagne applique le principe juridique de la compétence universelle qui permet à un État de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, quels que soient leur nationalité et l’endroit où ils ont été commis.
Human Rights Watch salue un verdict «historique»
L’ONG Human Rights Watch (HRW) a salué le verdict après la condamnation de l’ancien colonel des renseignements syriens condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. «C’est vraiment historique», a commenté le directeur exécutif de HRW, Kenneth Roth, auprès de journalistes à Genève, à l’issue de ce premier procès au monde lié aux exactions attribuées au régime de Bachar al-Assad. «En raison des vétos russe et chinois, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas pu faire saisir la Cour pénale internationale pour qu’elle juge ces atrocités», a souligné Kenneth Roth. «Mais il existe toujours une alternative très importante, qui consiste à recourir aux juridictions nationales, à faire valoir le principe de compétence universelle, qui permet de juger les crimes de guerre et les atrocités de masse», a-t-il dit. Et de saluer le rôle «d’avant-garde» de l’Allemagne: «C’est ce qu’a fait le gouvernement allemand.» AFP