L’accord d’Évian du 18 mars 1962 : l’Algérie vers l’indépendance96 meurtres lors d’un massacre à Oran, AlgérieEn ce 5 juillet 1962, l’Algérie fête, dans la frénésie, l’indépendance que doit proclamer le soir même le général de Gaulle. Cent trente-deux ans jour pour jour après la prise d’Alger par les Français. Hommes, femmes et enfants défilent dans les rues, au cri de « Vive l’Algérie indépendante », vêtus de leurs habits de fête, drapeaux du Front de libération nationale (FLN) au vent. « C’est quelque chose qu’on ne vit qu’une fois. On a vu tous les villages, toute la population venir, les hommes, les femmes. Ils dansaient, ils chantaient. On se rencontrait, on criait. C’était l’euphorie », se souvient Akli Gasmi, qui n’était alors qu’un jeune berger du village d’Oukhlou, en Kabylie maritime. La population goûte à la liberté retrouvée, les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) paradent dans les rues, les exilés préparent leur retour et les chefs politiques s’apprêtent à endosser le costume de gouvernants. Avec l’indépendance, arrachée après plus de sept années de guerre et la victoire du « oui » au référendum du 1er juillet, sonne l’heure de la délivrance. Pour les combattants de l’ALN, le 5 juillet a concrétisé une victoire acquise depuis la signature des accords d’Evian entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 18 mars 1962. Dans le pays, le silence du cessez-le-feu a succédé au vacarme des combats, dès le 19 mars 1962 à midi. « Le fruit de nos sacrifices avait déjà commencé à se traduire au moment du cessez-le-feu. Nous vivions dans l’idée que le pays allait recouvrer sa souveraineté. Pour nous, le 5 juillet annonçait une nouvelle ère », se remémore le colonel Salim Saadi, alors commandant de la région militaire nord de la frontière algéro-tunisienne. Posté dans la région du Tarf, l’officier n’attendait plus que le feu vert pour implanter ses troupes en Algérie.Cette attente fiévreuse, le commandant Azzedine, alors à la tête de la Zone autonome d’Alger, ne l’a pas connue. Bien après que l’armée française eut sonné la fin des combats, il a dû mener une autre bataille. Une bataille sanglante contre la « politique de la terre brûlée » de l’Organisation armée secrète (OAS) qui, jusqu’aux derniers jours de juin, a multiplié les attentats et les attaques armées pour faire échouer l’abandon inexorable de l’Algérie française. « Le 5 juillet a été le couronnement de toute une lutte, salue-t-il. L’indépendance, contrairement à ce qui a été dit, ne nous a pas été octroyée. Je suis fier d’appartenir à ce peuple, il a fait une guerre merveilleuse. » Mais tous les habitants d’Algérie n’ont pas vécu de la même manière cette journée particulière. Le 5 juillet, à Oran, l’indépendance affiche un visage bien plus sombre. La ville, où les communautés musulmane et européenne vivent désormais coupées l’une de l’autre, se remet à peine des mois de terreur engendrés par les affrontements entre commandos de l’OAS et fedayin du FLN. La population célèbre une indépendance qu’elle espère annonciatrice de jours meilleurs, mais, en quelques heures, le cours de l’histoire va dérailler. Une fusillade éclate au sein du défilé, rue d’Arzew, sous les yeux de Michel Guay, jeune appelé du contingent qui suit le cortège accompagné du photographe de son régiment. « Moi, j’étais dans une 2 CV. On s’est retrouvé à plat ventre sous la voiture. Ça pétait de partout. Tout le monde a cru que c’était l’OAS qui provoquait ces événements-là, donc il y a eu des représailles terribles contre la population européenne », raconte-t-il. Des remords dans la voix, il assène : « L’armée avait interdiction d’intervenir et même la gendarmerie n’a pas bougé d’un poil. » Les massacres feront plusieurs centaines de morts et de disparus.Le 5 juillet à Oran est pour les Français d’Algérie une des pages les plus noires de leur histoire de l’indépendance algérienne. Pour ceux qui n’avaient pas encore pris le chemin de l’exode, la perspective de pouvoir rester vivre dans le pays nouvellement indépendant se fait plus incertaine, malgré les garanties qu’on leur avait données aux termes des accords d’Evian. Nombre d’entre eux imaginent déjà n’avoir plus qu’une seule alternative : « la valise ou le cercueil ». Quand Pierre Massia, quatrième génération d’une famille franco-espagnole installée à Oran, embarque sur un bateau en direction de Marseille, le 4 juillet au soir, il pense que ce n’est que pour un aller-retour. « Je m’étais dit : on achètera quelque chose en France mais on travaillera en Algérie. Quitte à aller passer un mois ou deux en France avant de revenir », assure l’ancien directeur des cafés Nizière. Avant de conclure, laconique : « Et puis, ça s’est pas fait. » Cette histoire de déracinement et d’exil, les pieds-noirs la partagent douloureusement avec ceux qui parmi les supplétifs musulmans de l’armée française ont réussi à fuir vers la France. « Le jour où j’ai pris l’uniforme, les civils ne me regardaient plus. On n’est plus algérien », regrette Saïd Derrough, un ancien moghazni, supplétif dans la Section administrative spécialisée de Hama Boutaleb, aujourd’hui installé à Pignans, dans le Var. A l’indépendance, l’avenir qu’il s’était choisi deux ans plus tôt est scellé par ses compatriotes. Incarcéré par le FLN à la prison de Lambèse, en Algérie, il comprend, ce 5 juillet, quel destin tragique l’attend. « Dehors, c’était la fête. Ils chantaient « Vive l’Algérie indépendante ! A mort les harkis ! » Nous, on s’est regardés, et on a pensé qu’on était foutus. » Les harkis se retrouvent du côté des vaincus de l’histoire, mais ils ne sont pas les seuls. Certains, même dans le camp des partisans de l’indépendance, ne profiteront pas longtemps du bonheur de la victoire et feront partie des laissés-pour-compte. Car une violente lutte pour le pouvoir se déroule au grand jour entre les soutiens du GPRA, mené par Benyoucef Benkhedda et ceux d’Ahmed Ben Bella, appuyé par l’Etat-major général (EMG) du colonel Houari Boumediene. Pour Moh Clichy, ancien responsable de la zone nord de Paris au sein de la Fédération de France du FLN, l’histoire du nouvel Etat s’est écrite à tort sans les militants de l’immigration. « En 1962, il y a eu une déviation. Le GPRA a été disloqué. On faisait partie de cet ensemble et quand il a été disloqué, on s’est retrouvés livrés à nous-mêmes. Et, depuis, on a été mis de côté, je dirais même marginalisés », regrette-t-il. Des regrets, le commandant Azzeddine n’en a pas vraiment. En août 1961, il a fait un choix. Celui de quitter son poste d’adjoint chef du colonel Boumediene, au sein de l’EMG, et de rejoindre le maquis, en signe de refus des « magouilles » qui se tramaient déjà. « Boumediene ne me l’a jamais pardonné », dit-il, soulignant, dans un sourire, l’ironie de son histoire : « En 1962, j’avais 28 ans. J’ai été éliminé. Et, par Boumediene et, par Ben Bella. Je suis le plus jeune retraité de l’Algérie… Et sans indemnités. »Le massacre d’Oran, des manifestations meurtrièresLe jour même de la proclamation de l’indépendance algérienne par le général De Gaulle, une manifestation à Oran dégénérait en une série de lynchages contre les Français d’Algérie, conséquence d’un crescendo de violence pendant l’année 1962.
C’est le 26 janvier 2022, près de 60 ans après les faits, que le président Emmanuel Macron a tendu la main aux rapatriés d’Algérie. Le chef de l’État français a qualifié d’“impardonnable pour la République” la fusillade de la rue d’Isly, à Alger en mars 1962, et affirmé que le “massacre du 5 juillet 1962” à Oran devait être “reconnu”.Car le 5 juillet 1962 reste un sujet sensible, chez les Pieds-Noirs comme chez les historiens. “Il y a un consensus clair sur le fait qu’un massacre a été commis, tranche l’historien Tramor Quemeneur, chargé de cours aux universités de Paris VIII et Cergy et auteur de La Guerre d’Algérie.
Ce qui ne fait pas consensus, ce sont les chiffres. La mémoire Pieds-Noirs entretient fortement la mémoire de ce massacre, avec parfois une certaine forme de surenchère sur le nombre de victimes. Les historiens recensent 326 morts et 323 disparus, donc globalement entre 400 et 800 morts.”Un crescendo de violence au printemps 1962Les Pieds-Noirs ont retenu de l’épisode un déferlement de violence contre ces Français d’Algérie, “ce qui est la réalité, souligne Tramor Quemeneur. Mais il faut prendre en compte l’enchaînement des événements du printemps et de l’été 1962.” Depuis la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, qui mettent fin à la guerre d’indépendance en Algérie, la violence est allée crescendo dans l’ancienne colonie : une violence franco-algérienne, mais aussi franco-française. “À partir du 19 mars 1962, l’OAS [Organisation Armée Secrète, un groupuscule clandestin qui combattait pour le maintien de l’Algérie française, ndlr] considère que l’armée française est une armée illégitime, une armée d’occupation, et qu’elle se trouve sur son territoire, l’Algérie.” Pour l’en chasser, l’OAS mène des actions violentes contre les appelés du continent, les autorités françaises, les politiques et les intellectuels favorables à l’indépendance algérienne.Le 26 mars 1962, des civils français manifestent pour le maintien de l’Algérie française à Alger, rue d’Isly, près de la Grande Poste. Bien que non armés, les manifestants entreprennent de forcer le blocus des forces de l’ordre sur le quartier de Bab El-Oued, mis en place après le meurtre de sept appelés du contingent par des éléments de l’OAS. Des tirailleurs algériens de l’armée française ouvrent le feu sur la foule, faisant a minima une cinquantaine de morts, selon le bilan officiel.
“La violence part d’Alger et se généralise, raconte Tramor Quemeneur. La tension monte dans tout le pays, en particulier dans la région d’Oran où l’OAS a créé des maquis.” En plus de ses heurts avec l’armée française, l’OAS multiplie les exactions contre la population algérienne. “On assiste à des meurtres arbitraires, de harkis mais pas seulement. L’OAS maintient la population algérienne sous pression, en particulier dans la région oranaise.” Au cours du mois de juin 1962, les explosions de violence s’accélèrent. Le 25, l’OAS provoque un attentat sur le site de la British Petroleum, plongeant Oran dans une masse de fumée épaisse. “Au sens propre comme au figuré, l’atmosphère à Oran devient irrespirable”, résume l’historien.5 juillet 1962 : « une véritable chasse à l’homme »Le 5 juillet, tôt le matin, une grande manifestation algérienne se met en place pour célébrer l’indépendance. Contrairement aux manifestations des jours précédents, celle-ci ne se cantonne pas aux quartiers musulmans, mais prend la direction des quartiers européens, par le boulevard Maréchal-Joffre. Claquent alors des coups de feu, sans qu’on en identifie la provenance. La panique saisit les manifestants, persuadés que l’OAS est en train de commettre un nouvel attentat. “Cette panique va créer un mouvement de foule gigantesque qui se veut d’abord défensif, raconte Tramor Quemeneur. Mais du fait de la tension extrême de l’atmosphère, la violence devient disproportionnée, incontrôlable, et aboutit à une véritable chasse à l’homme.”
La foule se répand dans les quartiers européens et s’en prend à tous les imprudents qui croisent sa route. “C’est une émeute terrible. On enfonce les portes des appartements, on exécute les gens chez eux ou au restaurant. Quand une victime tombe aux mains de la foule, elle est lynchée à l’arme blanche ou à mains nues, puis on passe à la suivante. C’est un bain de sang et de fureur.” Les Français d’Algérie sont ciblés, mais aussi les autres Européens, notamment plusieurs Espagnols, et les Algériens soupçonnés de leur avoir été favorables. Les rapts et les exécutions se poursuivent jusqu’à la tombée de la nuit, avant une tardive intervention française. Ce soir-là, le général de Gaulle apparaît à la télévision pour proclamer l’indépendance officielle de l’Algérie.
Une reconnaissance tardive du massacre d’Oran« Le massacre du 5 juillet d’Oran, écrit le journaliste Georges-Marc Benamou (Un mensonge français : retours sur la guerre d’Algérie, Robert Laffont, 2003), semble être un événement clandestin, discutable, fantasmé, et dont seuls les survivants se repassent le souvenir. Aucune étude historique définitive. Pas de véritable investigation. Peu de livres. Pas une plaque, nul hommage officiel de la République. Quand il s’agit des massacres du 5 juillet d’Oran, tout est sujet à caution. »
Pour Tramor Quemeneur, le 5 juillet est “le chant du cygne macabre de l’Algérie française, qui signe la fin du mouvement de départ des Pieds-Noirs vers la France et l’Espagne”. Il faut attendre 50 ans d’occultation par les pouvoirs publics avant qu’un chef d’État français reconnaisse ce massacre. Il n’a, à ce jour, toujours pas été reconnu par l’Algérie. “Tant que cela n’aura pas été fait, conclut l’historien, le 5 juillet restera une blessure ouverte dans la mémoire des Pieds-Noirs.”
https://www.lanouvellerepublique.fr/france-monde/les-accord-d-evian-l-algerie-vers-l-independance
https://www.geo.fr/histoire/le-massacre-doran-des-manifestations-meurtrieres-210211
http://archives.ecpad.fr/wp-content/uploads/2012/06/Independance_algerie.pdf