«Patrice Emery LUMUMBA, père de l’indépendance congolaise : l’espoir assassiné»Quand Lumumba, l’âme d’Afrique dénonçait le racisme des colonsQui a tué l’ancien Premier ministre congolais, Patrice Lumumba ?Le 30 juin 1960, le Congo accédait à l’indépendance. Avec Patrice Lumumba (1925-1961) à la primature et Joseph Kasa-Vubu à la présidence, le jeune pays célébrait alors une grande étape de son histoire.C’est paradoxalement un jour de liesse – la proclamation de son indépendance – qui marque le début de la descente aux enfers de l’ex-Congo belge. Depuis le Te Deum, célébré en grande pompe à la cathédrale Sainte-Anne, à la séance solennelle, qui se tint juste après l’office religieux dans la grande salle du palais de la Nation, le film de cette journée historique est bien connu. Ceux qui assistèrent à la cérémonie gardent en mémoire l’intervention de Baudouin Ier, arrivé la veille. Le roi des Belges rendit hommage à «l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II et continuée avec persévérance par la Belgique». Rien de surprenant dans la bouche de l’héritier d’un monarque qui considéra le Congo comme sa propriété privée. L’allocution suivante, prononcée par Joseph Kasavubu, le chef du nouvel État congolais, fut en revanche ressentie comme une offense par les nationalistes congolais. À commencer par leur chef de file, le Premier ministre Patrice Emery Lumumba. Au lieu de célébrer l’émancipation de son peuple, le président de la République rendit un hommage appuyé à l’ancienne métropole, incitant le chef du gouvernement à intervenir alors que le protocole ne l’y avait pas invité.Diatribe inattendue de Lumumba Il est 11 h 35 lorsque Lumumba se lance dans une diatribe que l’ancien colonisateur ne lui pardonnera jamais. «Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres. […] « Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. »La foule exulte, Baudouin est livide. Ce discours demeuré célèbre tranche violemment avec le paternalisme du roi des Belges. Mais plus qu’au monarque, c’est à Kasavubu que Lumumba imputera ultérieurement la responsabilité de cette sortie forte peu diplomatique. Le matin du 1er décembre 1960, la voiture de Patrice Lumumba, traquée par les sbires de Mobutu, tombe en panne à proximité d’un chantier de l’Exploitation forestière du Kasaï, le long de la route qui mène à Stanleyville, fief des lumumbistes, que tente de gagner le fugitif. Le soir même, il sera repris par ses poursuivants sur les bords de la rivière Lodi. Mais, dans l’intervalle, il a trouvé refuge chez le chef du chantier, Albert Hermant, avec lequel, il engage un extraordinaire dialogue. Subjugué, son interlocuteur note tous ses propos. Quatre décennies plus tard, Hermant communiquera au quotidien belge «Le Soir» l’essentiel de son texte, qui le publie les 3 et 4 novembre 2001.«Mon discours n’était en rien dirigé contre le roi, que je considère comme un homme honnête sans pouvoirs réels, ni contre le colonisateur, lui confia le Premier ministre en fuite, mais se voulait une réplique cinglante à l’allocution du président de la République, qui, selon nos accords, aurait dû me soumettre le texte de son discours et ne l’avait pas fait. De plus, cet exposé célébrant les mérites et les réalisations du pouvoir colonial était l’exacte réfutation des propos xénophobes et revanchards qu’il développait en conseil restreint ou en privé. Cette duplicité, qui ne se démentira pas, me mit dans une colère froide. »Un esprit festif vite oublié…
La crise institutionnelle qui éclata ce jour-là se révélera fatale au nouvel État congolais. Celui-ci se désagrégea en trois temps : «Au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités éclatèrent les mutineries de la Force publique (5 juillet). Elles furent suivies six jours plus tard par la proclamation d’indépendance du Katanga (11 juillet), puis par celle du Sud-Kasaï (8 août). Enfin le président révoqua le Premier ministre qui le révoqua à son tour le 5 septembre. » À Léopoldville, la fête du 30 juin fut intense… mais vite oubliée.
L’élite belge, assez nerveuse, s’interroge. Contre toute attente, le nationaliste Patrice Lumumba est parvenu à former un gouvernement. La Belgique pourra-t-elle maintenir ses intérêts dans son ex-colonie? Depuis des mois, poussé par l’entourage de son père Léopold III, le jeune roi Baudouin prévient son gouvernement que « les droits imprescriptibles » de la Belgique au Congo devront être préservés. Le gouvernement de Gaston Eyskens place tous ses espoirs dans l’armée congolaise. Cette « nouvelle » armée, dirigée par des officiers belges, devait « contenir » le gouvernement Lumumba.Le 17 janvier 1961, l’ancien Premier ministre congolais Patrice Lumumba était assassiné. Une mort tragique pour le monde orchestrée depuis Léopoldville, Bruxelles et Washington. Et sur laquelle la justice belge a récemment décidé d’enquêter.
Les hommes clés de l’affaire
Gaston Eyskens (1905-1988), Premier ministre belge de juin 1958 à avril 1961, il est habile et coriace. Les coalitions changent, mais lui, l’ancien professeur à l’université catholique de Louvain, reste aux affaires. La preuve : en août 1960, il résiste à une offensive du roi Baudouin, qui le trouve trop modéré sur le dossier congolais et veut le débarquer.Le comte Harold d’Aspremont Lynden (1914-1967), ministre des Affaires africaines de septembre 1960 à avril 1961. Aspremont, c’est le Foccart de Bruxelles. Ancien résistant, il est au cabinet du Premier ministre quand le Katanga fait sécession. Aussitôt, Eyskens l’y envoie comme proconsul, puis lui confie les commandes du Congo à Bruxelles. Le mot d’ordre du 6 octobre : «L’objectif principal est évidemment l’élimination définitive de Lumumba», c’est lui. Le télex du 16 janvier à Élisabethville, c’est encore lui.Joseph Kasavubu (1915-1969), premier président de la République du Congo à partir du 30 juin 1960.
Le colonel Joseph-Désiré Mobutu (1930-1997), chef d’état-major de l’armée congolaise à partir du 5 juillet 1960. Le 14 septembre, il «neutralise» Kasavubu et Lumumba et prend le pouvoir une première fois.Victor Nendaka (1923-2002), directeur de la Sûreté congolaise à partir de septembre 1960. Très brillant, il est d’abord le bras droit de Lumumba, puis celui de Mobutu.
Le colonel Louis Marlière (mort en mai 2000), chef des services belges à Léopoldville et conseiller de Mobutu à partir de juillet 1960.
Larry Devlin (1922-2008), chef de la CIA au Congo de 1960 à 1967.
Un plan diabolique d’assassinat Un jour, Lumumba a dit : « Si je meurs demain, ce sera parce qu’un Blanc aura armé un Noir. » C’est après la pénible scène de son arrestation, en décembre 1960, que les Belges et les Américains conçoivent ce plan diabolique : faire éliminer Lumumba par ses frères congolais. À Léopoldville ? Non. Mobutu lui-même est réticent. Il a été très proche du leader du Mouvement national congolais (MNC). Il connaît son charisme au Congo et sur tout le continent – en 1958, lors d’une conférence à Accra, Lumumba a fraternisé avec Nasser, Nkrumah et Sékou Touré. Rusé, Mobutu sait que, s’il porte la responsabilité directe de la mort de Lumumba, il le paiera un jour. Par ailleurs, le 24 novembre, les Nations unies ont reconnu le gouvernement de Kasavubu aux dépens de celui de Lumumba (53 voix contre 24). Pour les Occidentaux, ce n’est pas le moment de mettre un assassinat politique sur le dos de leur ami Kasavubu. Son régime est trop fragile. Reste la solution katangaise. En juillet 1960, la province cuprifère du sud du Congo a proclamé son indépendance. Moïse Tshombe préside, mais les Belges gouvernent. Tshombe a toutes les raisons de vouloir éliminer Lumumba, mais, comme Mobutu, il devine que le prix à payer sera très lourd. D’abord pour sa chère province. Fini l’espoir de la reconnaissance internationale d’un Katanga indépendant. Ensuite pour lui-même. Et il n’a pas tort : dès que le Front de libération nationale (FLN) prendra le pouvoir à Alger, il poursuivra Tshombe de sa haine vengeresse, lui qu’il tient en partie pour responsable de la mort de Lumumba. En juin 1967, le président Boumédiène fera détourner son avion au-dessus des Baléares, et l’enfermera dans un cachot où il mourra deux ans plus tard, officiellement d’une « crise cardiaque ».
En 1960, Tshombe pressent-il tout cela ? Ce qui est sûr, c’est que jusqu’à la mi-janvier 1961, ses tuteurs belges d’Élisabethville et lui-même ont fait savoir à Bruxelles qu’ils ne voulaient pas recevoir le «cadeau empoisonné» Lumumba. Le 13 janvier 1961, tout s’emballe. Une mutinerie éclate au camp militaire de Thysville, où Lumumba est enfermé depuis six semaines. Du fond de son cachot, le tribun nationaliste a retourné une partie de ses geôliers. Panique chez les Blancs de Léopoldville. Mobutu et Victor Nendaka, le directeur de la Sûreté, un dur, réquisitionnent Kasavubu et s’envolent pour Thysville, où ils rétablissent la situation in extremis, avec des liasses de billets. Mais le chef du camp, le colonel Bobozo, un Ngbandi comme Mobutu, dit à celui-ci : « Si une nouvelle mutinerie éclate, je ne pourrai plus garder Lumumba en prison. » Aussitôt, le scénario katangais est enclenché. Le 16 janvier au matin, un télex de Bruxelles intime l’ordre à Élisabethville de recevoir le prisonnier. Vu les propos publics des ministres de Tshombe (« S’il vient chez nous, nous le tuerons »), aucun doute n’est permis sur le sort qui attend Lumumba. Ce jour-là, le Premier ministre belge, Gaston Eyskens, et Mobutu décident de sang-froid la mort de Lumumba, avec la bénédiction de Dwight Eisenhower. Un crime d’État et, pour les Congolais, le premier pas d’une longue descente aux enfers.
Qui sont les Belges encore en vie mis en cause par la justice ? La famille Lumumba, à l’origine de la procédure, refuse de dévoiler leurs noms. Selon l’agence Belga, il pourrait notamment s’agir de Jacques Brassinne, un diplomate qui était, sous la présidence Tshombe, membre du «Bureau conseil», le gouvernement parallèle des Belges à Élisabethville. Étienne Davignon serait également dans le viseur : ancien vice-président de la Commission européenne, père de la compagnie Brussels Airlines, il était à l’époque diplomate. Quant à Charles Huyghé, il était le chef de cabinet du ministre katangais de la Défense. Vu leur jeune âge au moment des faits, tous trois n’étaient sans doute que des seconds couteaux.
Compte-rendu de la conférence de presse du mardi 22 juin 2010.
François Lumumba, fils aîné de Patrice, dépose plainte contre douze Belges impliqués dans l’enlèvement, la torture et l’assassinat de son père, Patrice Lumumba. C’est en présence de Guy, le fils cadet de Patrice Lumumba, né après l’assassinat de son père que Christophe Marchand, avocat et Ludo De Witte, expert, ont présenté et éclairé le contexte de la plainte qui sera déposée en octobre prochain. La conférence de presse s’es tenue dans les locaux de la Ligue belge (francophone) des Droits de l’Homme. Son président, Benoît Van der Meerschen, a déclaré que, pour pouvoir faire la morale aux gouvernements africains sur les questions des droits de l’Homme, il convenait de balayer d’abord devant sa propre porte. Ludo De Witte a rappelé l’implication belge directe dans le morcellement du Congo à la fin de l’année 1960. Le gouvernement belge de l’époque a soutenu activement, sur le plan politique et militaire, les sécessions des provinces du Kasaï et du Katanga dans le but de renverser le gouvernement central, démocratiquement élu, de Patrice Lumumba.
https://www.jeuneafrique.com/452804/politique/jour-30-juin-1960-congo-proclame-independance/
http://africultures.com/le-discours-dindependance-de-lumumba-9826/
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1447
17 Janvier 1961 – Patrice Lumumba, le héros de la lutte anticoloniale du peuple congolais, a été exécuté
24 Juin 1960 – Patrice Lumumba, à la tête du parti MNC, forme un gouvernement au Congo pour devenir le 1er Premier ministre du Congo indépendant