Les grandes réformes et manifeste de l’empereur : L’émancipation des serfs de RussieL’abolition du servage de 3 mars 1861 est une réforme agraire de grande importance dans l’Empire russe au début du règne d’Alexandre II, qui a pour but principal l’abolition du servage et la vente de terres agricoles aux serfs ainsi affranchis. Celle-ci entre en vigueur le 3 mars 1861, (ou le 19 février selon le calendrier julien alors en usage). Selon le juriste et philosophe russe Boris Tchitcherine il s’agit de l’«œuvre la plus grandiose de l’histoire russe ». La réforme, longtemps attendue, a pour conséquence de libérer 23 millions de paysans du statut de serf. La réforme a cependant eu un impact limité dans certains domaines : ainsi les serfs liés à des terres étatiques n’ont été libérés de leur statut qu’en 1866. Cette réforme est portée par Nikolaï Milioutine, Alexei Strolman et Yakov Rostovtsev, notamment via l’élaboration d’un manifeste en faveur de cette réforme.Une conséquence secondaire est l’ouverture de nouvelles prisons d’État : en retirant aux propriétaires terriens la prérogative d’incarcérer leurs valets de charrue, la Couronne de Russie doit prendre en charge l’application des peines prévues par la loi pour cette population. Monté sur le trône en mars 1855, Alexandre II mène une politique réformiste afin d’apaiser l’empire dans le contexte difficile de la défaite lors de la guerre de Crimée. La réforme agraire qu’il souhaite est tout entière marquée par la volonté impériale et Alexandre II y est indissolublement lié. L’abolition définitive du servage dans le pays lui vaudra le qualificatif de « tsar libérateur ». Sur une population de 60 millions d’habitants, 50 millions étaient des serfs, la moitié servant environ 100 000 familles nobles, l’autre moitié les domaines de l’État.Les origines du servage en Russie remontent au XIe siècle, mais à cette époque seule une partie de la paysannerie est touchée par le servage avec des types exploitations comme le zakoup ou le kholop. Entre le XIIIe et le XVe siècle, la dépendance féodale s’applique à un nombre plus important de paysans, mais le servage n’était pas encore un phénomène généralisé. Au milieu du XVe siècle, certaines catégories de paysans sont alors autorisées à changer de seigneur durant une période limitée d’une semaine avant et après le 26 novembre, le jour dit de la Saint-Georges. Dans l’ensemble, le servage s’est développé en Russie beaucoup plus tardivement que dans les autres pays européens. L’esclavage demeura une institution importante en Russie jusqu’à la période de 1679 à 1723, où les esclaves agricoles et les esclaves domestiques sont respectivement convertis en serfs. Après la réforme, un quart de paysans reçurent des parcelles de 12 000 m2 (soit 1,2 hectare) par homme et la moitié entre 0,85 à 1,14 hectare, soit moins que la surface nécessaire pour la subsistance d’une famille. La paysannerie est ainsi obligée de louer un grand nombre de surfaces, voire de quitter une propriété trop petite, ce qui a engendré des migrations massives.À ce propos Nehru explique ainsi dans son livre : (Lettre N° 143)
Ainsi, dans la Russie tsariste, une once de progrès allait de pair avec une tonne de réactions. Les paysans russes étaient pratiquement des esclaves. Ils étaient liés à leurs terres et ne pouvaient les quitter sans autorisation spéciale. L’éducation était limitée à quelques officiers et intellectuels, tous issus de la noblesse terrienne. Il n’y avait pratiquement pas de classe moyenne et les masses étaient entièrement analphabètes et arriérées. Dans le passé, il y avait eu des révoltes paysannes fréquentes et sanglantes, des révoltes aveugles dues à une trop grande oppression, et elles avaient été écrasées. Maintenant, avec un peu d’éducation au sommet, certaines des idées les plus répandues en Europe occidentale se sont également répandues. C’était l’époque de la Révolution française puis de Napoléon. La chute de Napoléon, tu te en souviendras, a provoqué une réaction dans toute l’Europe, et le tsar Alexandre Ier, avec sa «Sainte Alliance» d’empereurs, a été le champion de cette réaction. Son successeur était encore pire. Piqué au combat, un groupe de jeunes officiers et intellectuels se révolta en 1825. Ils appartenaient tous à la classe des propriétaires terriens et n’avaient aucun soutien dans les masses ou dans l’armée ; ils ont été écrasés. On les appelle «décembristes», car leur révolte a eu lieu en décembre 1825. Cette révolte est le premier signe extérieur de réveil politique en Russie. Elle a été précédée par des sociétés politiques secrètes, car tout type d’activité politique publique était empêché par le gouvernement du tsar. Ces sociétés secrètes ont continué et des idées révolutionnaires ont commencé à se répandre, en particulier parmi les intellectuels et les étudiants universitaires.Après la défaite de la Russie dans la guerre de Crimée, certaines réformes ont été introduites et, en 1861, le servage a été aboli. C’était une grande chose pour la paysannerie, et pourtant cela ne leur apportait pas beaucoup de soulagement, car les serfs affranchis n’avaient pas assez de terres pour les soutenir.Pendant ce temps, la propagation des idées révolutionnaires au sein de l’intelligentsia et leur répression par le gouvernement du tsar se déroulaient côte à côte. Il n’y avait aucun lien ou terrain d’entente entre ces intellectuels avancés et la paysannerie. Ainsi, au début des années 70, les étudiants à tendance socialiste (ils étaient tous très vagues et idéalistes) ont décidé de porter leur propagande jusqu’à la paysannerie, et des milliers d’étudiants sont descendus dans les villages. Les paysans ne connaissaient pas ces étudiants. Ils se méfiaient d’eux et soupçonnaient un complot, peut-être pour restaurer le servage. Et donc ces paysans ont en fait arrêté beaucoup de ces étudiants, venus au péril de leur vie, et les ont remis à la police du tsar ! C’était un exemple extraordinaire d’essayer de travailler dans les airs sans être en contact avec les masses.
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