Libéria : Réflexions sur la capture du président Samuel Doe Le 9 septembre 1990, les Libériens ont témoigné d’un tournant dans l’histoire de leur pays. C’était la capture du président Samuel K. Doe par le chef rebelle du Front national patriotique indépendant (INPFL), le prince Y. Johnson. Trois décennies plus tard, on se demande toujours comment et pourquoi cela s’est produit. Surtout quelles leçons ont été tirées de ces événements tumultueux mais tragiques. Pourquoi le président Doe a-t-il pris la décision très risquée de se rendre au port franc de Monrovia? C’est la question qui persiste dans l’esprit de la plupart des Libériens. Selon l’ancien secrétaire d’État américain Herman Cohen, témoignant devant la CVR au Minnesota, les États-Unis voulaient voir Doe partir mais Doe s’était montré catégorique.En outre, selon Cohen, les États-Unis avaient tenté de négocier un accord entre Charles Taylor et Doe qui garantirait à Doe et à 500 de ses hommes un transit sûr par les lignes de l’INPFL et du NPFL jusqu’à la frontière de la Sierra Leone. Mais le plan s’est effondré lorsque le prince Johnson a exprimé son inquiétude pour sa sécurité et celle de ses hommes car en août 1990, les rebelles du NPFL avaient pratiquement encerclé Monrovia en attaquant à la fois l’INPF et les restes des Forces armées du Libéria (AFL) fidèles à Doe. Monrovia était alors devenue un champ de la mort virtuel où toutes les parties procédaient à des exécutions extrajudiciaires. De toute évidence, les États-Unis étaient pressés et voulaient sortir du bourbier. Doe a dû d’une manière ou d’une autre être attiré hors de son enclave fortifiée et soit emmené en exil, soit tué. Sur une vidéo, Prince Johnson est vu et entendu demander à Doe pourquoi il est entré dans sa zone contrôlée – Bushrod Island – sans consultation préalable. Doe, sous la torture, répond en disant qu’il avait envoyé un émissaire (nom non divulgué) au prince Johnson. Et à partir de ce que nous pouvons reconstituer, une grande conspiration a été reconstituée.Un ancien officier du Service de sécurité spécial (SSS) (nom omis) dans le service de sécurité de Doe a déclaré au Daily Observer que lorsqu’ils ont appris que Doe avait décidé de se rendre au port franc de Monrovia, le commandant du cortège Spartacus Smith a ordonné à ses hommes de déconnecter les batteries de tous les véhicules du cortège en signe de protestation craignant la mort aurait été. Et il avait raison selon l’ancien officier qui a survécu à l’incident. Il a ajouté que lorsque Doe a eu vent de ce qui s’était passé, il a ordonné à Smith, sous la menace d’exécution, de reconnecter les batteries. Mais, selon l’officier, à l’exception de quelques proches parents et conseillers, peu d’autres étaient au courant de son intention de visiter le Freeport. C’était un signe évident de désespoir, a-t-il déclaré.Mais une question clé est que si les États-Unis voulaient tellement que Doe parte, ils auraient pu facilement le dénicher à bord d’un hélicoptère militaire. À l’époque, il y avait cinq mille soldats américains à bord d’une flottille de navires se trouvant juste au large, soit au ralenti, soit en train d’évacuer des citoyens américains. À la réflexion, Doe avait été un chouchou des États-Unis, ayant émergé en tant que chef d’une junte militaire qui a renversé le président Tolbert, ce qui, selon le professeur d’Oxford Niels Hahn, était orchestré par des agents secrets américains. Au cours de la période de dix (10) ans de son règne, le Libéria est devenu le plus grand bénéficiaire par habitant en Afrique de l’aide officielle américaine totalisant plus de 500 millions de dollars américains. Une grande partie de cet argent est allé dans les poches de ses fonctionnaires. La corruption et les violations flagrantes des droits de l’homme, notamment les emprisonnements abusifs, la répression des médias, la torture et les exécutions extrajudiciaires, étaient les caractéristiques de son règne. Bien que les décideurs américains savaient que Doe était corrompu, ils l’ont pourtant choyé apparemment parce qu’ils le considéraient comme un partenaire loyal de la guerre froide – certains appelleraient cela. Les élections de 1985 auxquelles il était candidat se sont caractérisées par la fraude. Mais le secrétaire d’État américain George Shultz lui a donné un sceau d’approbation déclarant les élections « ÉQUITABLES SELON LES NORMES AFRICAINES ». À la fin de la journée, le Libéria a sombré dans le conflit – une guerre civile sanglante de 14 ans.Mais le coût pour la nation a été énorme : 200 000 personnes tuées : des millions de déplacés internes ou d’exilés : des infrastructures sociales détruites, etc. Trente et un ans plus tard, la nation semble toujours retrouver son équilibre même après 16 ans depuis le retour à un régime démocratique. En effet, l’évolution de la situation en Afghanistan présente de solides parallèles avec la situation au Libéria. Pendant vingt longues années, les États-Unis ont fermé les yeux sur la corruption flagrante des responsables afghans. Selon les analystes, le gouvernement afghan était une kleptocratie virtuelle, détestée par le peuple mais encouragée et choyée par la politique officielle américaine. À la fin, sous la pression des talibans, il s’est effondré et avec lui, l’armée nationale afghane pour laquelle des milliards avaient été dépensés en entraînement et en armement, laissant aux talibans un trésor de matériel militaire d’une valeur de 85 milliards de dollars américains. Mais il est important que ces questions soient revisitées ou révisées, au moins pour le bien de l’histoire et des générations futures afin que les questions qui en découlent soient abordées. Un tel examen, de l’avis d’un historien libérien, devient convaincant parce qu’il porte de fortes indications sur les échecs de la politique officielle des États-Unis.Alors que la nation approche des élections de 2023, les signes indiquent un danger. Un organe électoral très compromis composé de certaines personnes ayant des problèmes d’intégrité doit superviser les élections. Également en place pour statuer sur les questions électorales, il y a un système judiciaire qui, selon les rapports du Département d’État américain, est très corrompu alors que de réelles menaces de violence électorale planent dans l’air. Les événements du 9 septembre 1990 et le coup d’État militaire du 5 septembre en Guinée devraient servir à rappeler à tous les Libériens, en particulier aux dirigeants politiques, de gouverner avec l’approbation du peuple et non avec l’approbation des patrons, qu’ils soient américains, chinois ou russes même français. Cela a été mis en évidence en Guinée par un large soutien populaire au coup d’État. Il est maintenant grand temps que les États-Unis fassent le bilan de ces échecs politiques, car ces échecs ont des implications dangereuses pour la sûreté, la sécurité et le bien-être de millions de personnes dans le monde, en particulier au Libéria.Liberia : l’horrible fin de Samuel Doe
Le président libérien est mort comme il a dirigé son pays et traité ses adversaires : en toute inhumanité. Il est un peu plus de 13 h, ce dimanche 9 septembre 1990. Les commandos du président libérien résistent, depuis neuf mois, aux rebelles de Charles Taylor et de Prince Johnson. Ils sont bien entraînés – formés naguère par les Israéliens -, bien armés par les Etats-Unis. Et la peur leur sert de courage : tous de la même ethnie que leur président, ayant massacré des Libériens d’autres ethnies, ils savent que leurs adversaires ne leur feront pas de cadeau. Ils seront tués. Mais ils sont sûrs d’eux : ils ne laisseront pas leur président négocier avec les rebelles.
Pendant qu’ils torturent Samuel Doe, les hommes de Prince Johnson filment la scène.
Direction : le port
Survient Samuel Doe qui annonce à sa garde qu’il va sortir. Pour une fois il n’a pas trop bu. Branle-bas à Executive Mansion, le palais présidentiel : depuis plusieurs mois, le chairman ne sortait plus et si, aujourd’hui, il décide de sortir, c’est qu’il se sent lui-même fort. Le ministre de la Défense ainsi que son collègue qui assure l’intérim du ministère de l’Information est immédiatement convoqué. Direction : le port. Annoncé, de loin par les sirènes hurlantes, le convoi présidentiel s’arrête, quelques minutes plus tard, devant un bâtiment de deux étages. C’est là, en plein cœur de la zone portuaire de Monrovia, que l’Ecomog, la force d’interposition envoyée au Liberia par la Cedeao, a établi son quartier général. Samuel Kanyon Doe descend de sa voiture blindée et monte directement au premier étage, vers le bureau du général ghanéen Quainoo, alors commandant en chef de l’Ecomog. Visiblement, il n’était pas attendu. Aucune mesure particulière de sécurité n’a été prise et le général travaille tranquillement dans son bureau. Dans la cour vaquent tout aussi tranquillement des soldats gambiens, nigérians, ghanéens. Tous étonnés de voir débarquer dans leurs quartiers un chef d’Etat censé être reclus dans son bunker.
Doe, ses deux ministres et des éléments de la garde présidentielle gravissent les escaliers. Un groupe de journalistes de la radio-télévision libérienne, convoqué au dernier moment, les rejoindra avec dix minutes de retard. En tout, les loyalistes sont une centaine à envahir l’état-major de l’Ecomog. Une journaliste britannique de la BBC, Lise Blunt, venue pour rencontrer des officiers de l’Ecomog, assiste à toute la scène du rez-de-chaussée. Elle n’est pas expulsée des lieux, personne ne l’empêche de regarder. Elle nous raconte : « Quelques minutes après que Doe et son groupe sont montés, j’ai vu arriver un autre convoi. Cette fois, c’est Prince Johnson, l’un des deux chefs rebelles, accompagné d’hommes armés jusqu’aux dents, reconnaissables à leur bandeau ou ruban rouges.Cliquetis d’armes
Ils descendent de leurs véhicules : des bus réquisitionnés, des voitures particulières saisies, des Toyota tout terrain. Très vite, la querelle éclate entre les deux groupes. Johnson veut monter voir le général Quainoo, mais des officiers de l’Ecomog l’en dissuadent. Il semble très nerveux. Ses hommes interpellent ceux de Doe. J’entends leur cliquetis d’armes. Un officier gambien de l’Ecomog me pousse dans un bureau du rez-de-chaussée et me dit de me mettre à plat ventre.
Quelques instants plus tard, Prince Johnson entre dans la pièce où s’est réfugiée notre consœur. Il est de plus en plus excité. L’officier gambien, pour le calmer, lui tend une canette de bière qu’il repousse brutalement en criant : « Je m’en fous ! » Il va à la fenêtre et crie à ses hommes : « Ouvrez le feu ! » Et c’est le massacre. Fusils mitrailleurs, roquettes et même armes anti-aériennes détonnent. Il est 13h 30 ou 13h45. Au premier étage, le général Quainoo essaie de s’interposer et crie : « Cessez le feu ! » Personne ne l’entend. Ses officiers, dans la cour, tentent également de calmer les protagonistes. Rien n’y fait. Les tirs continuent de plus belle. Les éléments de l’Ecomog assistent, impuissants, à cette tuerie : « Que pouvions-nous faire ? » dira plus tard l’un des officiers. Nous ne pouvions pas tirer sur Johnson, ce n’est pas notre rôle. Alors tirer sur Doe ? Ç’aurait été encore pire. L’Ecomog a néanmoins sauvé la vie des deux ministres de Doe ainsi que des journalistes.
Humiliations
Au bout de 90 minutes environ, les tirs semblent cesser. On comptera 78 cadavres. Essentiellement des fidèles du chef de l’Etat. Et Prince Johnson crie encore à ses hommes : « Cette fois, nous allons le prendre. » Les hommes de Johnson ont capturé Samuel Doe dans le bureau du commandant en chef de l’Ecomog qui n’a rien pu faire. Ils le déshabillent, lui arrachent les gris-gris qu’il porte en travers de la poitrine, l’humilient de toutes les manières. Un rebelle lui brise les deux jambes avec deux rafales de sa Kalachnikov. Le « docteur » Samuel Kanyon Doe n’est plus président. Seulement un grand blessé emporté comme un baluchon par les rebelles qui le jettent dans une voiture. Au camp militaire de Bushrod Island, près du village de Caldwell à moins de 10 km de Monrovia, c’est la joie sadique. En cette fin d’après-midi de ce 9 septembre, les rebelles ont traversé la capitale en criant : « Nous avons capturé Doe.» Le président captif a les mains liées derrière le dos. Il n’a plus ni protecteurs ni protections : ses gardes ont été tués ; ses gri-gri arrachés. Un rebelle, à la machette, lui coupe les deux oreilles. Un autre lui balafre le visage. Et on va le soumettre à l’interrogatoire.
Ses doigts sont brisés, ses parties génitales broyées. Il avoue tout : sa fortune, l’adresse de ses banques, la cachette de certains de ses proches. Samuel Doe est à bout. Ses larmes se mélangent au sang qui dégouline de sa bouche. Il crie, il essaie de calmer ses douleurs. Par réflexe, sa tête se renverse sur son torse. Il pousse un gros soupir. Un rebelle, croyant qu’il essaie ainsi de faire appel à un dernier gri-gri pour devenir invisible, lui tire une dernière rafale en pleine tête. Samuel Kanyon Doe meure comme il a vécu. Horriblement.
Pantin sanguinolent
Le lendemain lundi 10 septembre, son corps mutilé, est promené dans une brouette à travers Monrovia. On expose le monstre monstrueusement tué. Doe est mort. Ça ne suffit pas. Il faut le démontrer. Donc montrer son corps. Cet homme avait sauvagement tué et fait tuer ceux qu’il avait renversé en 1980 ; cet homme avait fait mutiler ses adversaires et exposer leur cadavre. Ses tueurs feront de même. Ce lundi 10 septembre, dans l’après-midi, le pantin sanguinolent qu’est devenu le chairman est exposé dans la cour d’un petit hôpital, Island Clinic. Sans oreilles, sans sexe, sans doigts, les jambes brisées. Il y restera plusieurs jours.
Les hommes de Prince Johnson ont pris le soin de faire appel à des médecins et à des infirmiers pour faire retarder la décomposition du cadavre : on lui a injecté du formol. Depuis la fin de septembre, le corps a disparu. On ne sait pas s’il a été enterré. Lui, au moins, a fait enterrer ceux qu’il avait tués. Dans la boue, dans des fosses communes. Broyés par des bulldozers. Dès le lendemain de ce massacre, dont le seul héros n’a été qu’un chef d’Etat fantasque, les commandos de l’ancienne garde présidentielle se vengent. Ils tuent, pillent, violent, brûlent tout. Ils n’ont plus qu’un seul slogan : « Sans Doe, pas de Liberia ! Sans président, pas de capitale ! » Même avec Doe, il n’y a avait plus de capitale. Plus de Liberia. Il faudra tout recréer. Un assassin comme Samuel Doe n’était pas un créateur. Mais tout de même, que la terre soit légère à ce qui reste de son corps. Même s’il est mort comme il avait tué.
Samuel Kanyon Doe, né le 6 mai 1951, était un militaire et un homme politique libérien. Il met fin au régime à parti unique du True Whig qui confisquait le pouvoir au profit exclusif des colons afro-américains et de leurs descendants. Samuel Doe est ainsi le premier autochtone à devenir président de la République du Liberia depuis la fondation du Libéria en 1822. Issu de l’ethnie Krahn, Doe tend à favoriser son ethnie d’origine. Il obtient tout d’abord le soutien du gouvernement américain sous la présidence de Ronald Reagan, mais le perd progressivement du fait de la corruption et de l’impopularité de son régime. Il est un ennemi implacable de la franc-maçonnerie. En 1990, le Liberia bascule dans la guerre civile. Prince Johnson (Front indépendant) et Charles Taylor (NPLF) sont à la tête de deux groupes rebelles. De nombreux coups d’État tentent vainement de le destituer jusqu’à sa capture par les troupes de Yormic Johnson. Il meurt sous la torture et il est exécuté d’une balle dans la tête. Son corps est ensuite exposé nu dans les rues de Monrovia.
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