Pourquoi la répression de la manifestation du 8 février 1962 fut-elle un « massacre d’État » ? Le 8 février 1962, neuf manifestants meurent au métro Charonne, à Paris, sous les coups de la police, en répression d’une manifestation pacifique contre les attentats de l’OAS et pour l’indépendance de l’Algérie, les victimes demandent toujours la reconnaissance d’un « crime d’État ».Le 8 février 1962, plusieurs manifestations de protestation contre les attentats de l’OAS et contre la guerre en Algérie s’organisent en France. A Paris, la manifestation pacifique tourne au drame lorsque les forces de l’ordre lancent une répression aveugle contre les participants. Bilan : 9 morts et une France sous le choc. Depuis le début de l’année 1962, une recrudescence du terrorisme de l’OAS avait endeuillé le pays. Des assassinats et des attentats avaient visé des opposants au maintien de la France en Algérie ou des soutiens au FLN. Après des dizaines de plasticages les semaines précédentes, 18 attentats eurent lieu à Paris au cours de la « nuit bleue » du 17 janvier. Le 7 février, l’appartement d’André Malraux, ministre des Affaires culturelles, avait été visé et sa petite fille gravement blessée. Ce nouvel attentat allait cristalliser l’opposition de plusieurs mouvances de gauche. C’est ainsi que le PCF, le PSU, les Jeunesses socialistes et les syndicats appellent à une manifestation de « défense républicaine » contre le « danger fasciste » pour le 8 février. La manifestation, interdite par le ministère de l’Intérieur, se tient tout de même à partir de la place de la Bastille, mais des heurts débutent à la fin de la manifestation. Une fois l’ordre de dispersion donné, les manifestants qui tentent de rejoindre le métro Charonne se font charger par les forces de l’ordre. Mais les grilles sont à demi-fermées, les corps chutent sous les coups des policiers et s’entassent en contrebas de l’escalier. Le bilan des victimes est lourd : 9 morts (8 manifestants et 1 journaliste) et plusieurs dizaines de blessés. Dans cet article, nous vous présentons des témoignages de participants des deux bords, interrogés en février 1982, dans l’émission « Laser » intitulée « Charonne 62 : neuf morts sur ordonnance ». Une violence injustifiée
Pour débuter, l’archive en tête d’article est le récit chronologique de la manifestation relaté par des manifestants. D’abord Michel Langronert, vice-président de l’UNEF en 1962. Lui avait manifesté jusqu’à Saint Michel sans encombre. Mireille Parailloux, journaliste était, elle, à la Bastille. Elle décrit les rues bouchées par la police empêchant la dispersion à la fin du rassemblement. Rolande Ansoud, militante CGT décrit l’incompréhensible mouvement de la police à l’encontre des manifestants qui tentaient de quitter les lieux : « Ils se sont avancés vers les manifestants, et je ne sais pas, par un ordre, je ne sais pas lequel, je n’en sais rien, ils ont commencé à matraquer. » Elle emploie le mot de « chaos » pour décrire la scène. Vient ensuite le témoignage de René Tardiveau, un gardien de la paix CFDT, qui n’avait pas participé aux charges ce jour-là. Il revient sur les ordres reçus par ses collègues : « On ne leur a rien dit. Ils étaient stationnés et équipés (…) La grande matraque qui ressemble à un manche de pioche. »La paniqueLa soudaineté de l’attaque des forces de l’ordre est également décrite par Claude Bouret, qui était alors dans le cortège comme vice-président URP-CFTC. Il se souvient qu’ils étaient en pleine lecture d’une déclaration commune avec la CGT devant les manifestants au moment de la charge : « Et avant que nous ayons terminé, plusieurs rangs de policiers qui étaient dans le noir et que l’on distinguait assez mal, se sont rués sur le 1er rang ». Cette charge inattendue provoque un mouvement de reflux du premier rang qui tente d’échapper aux coups. Une panique générale décrite par Roger Gillot, président URP-CRTC : « Ceux qui voulaient échapper aux coups ne le pouvaient absolument pas dans le boulevard Voltaire, parce qu’il y avait une foule compacte qui continuait de pousser. »Censure et mensonge d’Etat La responsabilité de la police dans le bilan de la manifestation a été volontairement censuré par le pouvoir politique d’abord. Roger Frey, le ministre de l’Intérieur, parlera d’une attaque des forces de l’ordre par des émeutiers dans la presse. Une censure confirmée par le journaliste de l’ORTF Jean Rabaud reconnaissant le contrôle de l’information par le pouvoir. A la radio d’Etat, le soir même, on leur avait « demandé de dire que les étouffés s’étaient étouffés eux-mêmes ». Ce communiqué avait provoqué l’indignation dans la rédaction du Journal parlé, « moi-même, j’étais extrêmement sur les nerfs ». Le journaliste avouant qu’il avait fichu « une beigne » à l’auteur de la fausse dépêche.Au lendemain de la tragique manifestation du jeudi 8 février, le syndicat des C.R.S a publié un communiqué dans lequel il déclare « ne pas être responsable de l’action d’éléments n’appartenant pas aux C.R.S. et ne constituant vraisemblablement qu’une minorité parmi les forces de maintien de l’ordre » et regrette qu’on ait pu « imputer aux C.R.S. de lourdes responsabilités qu’ils n’avaient absolument pas ». Ce texte est clair : une fraction des forces du maintien de l’ordre a donc de lourdes responsabilités dans le drame du 8 février.
1962 A Paris, 8 personnes tuées lors d’une manifestation contre l’indépendance de la colonie française AlgérieParis commémore la manifestation meurtrière de la guerre d’Algérie [Publié le : 08/02/2012]Les partis de gauche français ont commémoré le 50e anniversaire de l’assassinat, le 8 février 1962, par la police française de neuf manifestants protestant contre la guerre d’Algérie à la station de métro Paris Charonne. Le rôle de l’État dans les tueries continue de diviser.
AFP – Cinquante ans plus tard, la France reste divisée sur la façon de marquer la guerre d’Algérie, un conflit amer qui a mis fin à 132 ans de domination coloniale sur le territoire nord-africain tout en déchirant la société française. Pendant des années, des factions rivales ont commémoré leurs propres victimes tout en dissimulant les responsabilités passées d’une guerre marquée de toutes parts par la torture et les massacres, et l’exil définitif des colons nés en France. Les communistes français commémorent depuis longtemps l’assassinat, le 8 février 1962, par la police de neuf manifestants à la station de métro Paris Charonne. Mercredi, des manifestants de gauche marqueront une nouvelle fois l’événement en se rassemblant à la station de métro qui a été témoin de la violente agression policière d’une manifestation pacifique mais interdite qui avait vu quelque 30 000 personnes se rassembler pour appeler à la paix en Algérie.
« Nous savions que la manifestation avait été déclarée illégale, mais nous sommes partis avec l’idée que nous serions juste battus comme d’habitude plutôt que tués », a déclaré la sociologue Maryse Tripier, qui a participé au rassemblement en tant qu’écolière. Cinquante ans plus tard, les syndicats et les partis politiques de gauche continuent d’exiger que l’État français rende pleinement compte de son rôle dans les tueries. D’autres affirment cependant qu’en mettant en lumière le massacre de Charonne, la gauche a contribué à enterrer un autre massacre policier moins connu de quelque 200 manifestants algériens indépendantistes à Paris le 17 octobre 1961. Le bilan des morts n’a jamais été officiellement rendu public et ne sera peut-être jamais connu, car de nombreux corps ont simplement été jetés dans la Seine. Pour l’historien français Olivier Le Cour Grand maison, « la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce crime d’Etat ». Ce n’est que l’an dernier que François Hollande, le candidat socialiste à la présidentielle, et Bertrand Delanoe, le maire socialiste de Paris, ont rendu hommage aux 200 morts. Les colons algériens nés en France, dont plus d’un million se sont réinstallés en France à la suite de l’indépendance de l’Algérie, ont leur propre date commémorative : le 5 juillet 1962. Ce jour-là, des centaines d’entre eux ont été massacrés dans la ville côtière algérienne d’Oran par les forces indépendantistes, malgré le fait qu’un cessez-le-feu pour mettre fin à la guerre avait été signé à Genève trois mois et demi auparavant.
Les Algériens qui ont servi comme supplétifs dans l’armée française, les « Harkis », dont beaucoup se sont également réfugiés en France, se souviennent pour leur part des tueries systématiques dont ils ont été victimes par les forces indépendantistes lors du retrait des forces françaises d’Algérie. La candidate présidentielle d’extrême droite Marine Le Pen, dont le père a combattu en Algérie, a appelé le mois dernier la France à honorer les Harkis et les anciens colons, tout en rejetant l’idée d’une commémoration pour marquer le 19 mars 1962, date à laquelle les accords de paix de Genève ont été signés. « C’est comme si personne n’était capable de reconnaître la souffrance des autres », a déclaré l’historien français Benjamin Stora. « Chacun a sa date. Ses morts. A l’heure où chacun devrait pouvoir honorer ensemble toutes les victimes, qu’elles soient communistes, algériennes, pieds-noires (nom donné aux colons français) ou harkis », a-t-il déclaré. . Pour l’historien français Gilles Manceron, ancien vice-président de la Ligue des droits de l’homme, la plupart des Français « veulent juste tourner la page » sur tout le drame.
https://www.france24.com/en/20120208-algeria-war-charonne-paris-metro-police-shooting-protester
https://www.humanite.fr/ne-pas-oublier-le-massacre-de-charonne-564933
https://www.franceinter.fr/histoire/60-ans-apres-la-repression-du-metro-charonne-sortir-de-l-oubli
https://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-massacre-de-charonne_492191.html