Le système totalitaire de Staline et ses artistes : le cas PasternakBoris Leonidovich Pasternak (1890-1960) est un romancier et poète russe, auteur de l’immense roman classique de la tradition russe «Docteur Jivago» (1957). D’abord poète attaché au futurisme, il sera toujours aux limites de la subversion pour le Parti Communiste – il échappe de peu au goulag. Arrivée de Staline au pouvoir, Pasternak a été inclus dans la liste des indignés. Mais il aurait été ignoré pour avoir traduit les poèmes géorgiens de Staline en russe.
Il reçoit le Prix Nobel de littérature (1958), prix qu’il devra refuser quelques jours plus tard pour calmer la polémique qui enfle dans son pays et éviter d’être condamné pour activisme pro occidental et anti communisme. Son grand roman, certes critique contre les soviets de 1917, fait de lui une grande figure de la littérature russe dans le monde et un paria dans son propre pays.Un écrivain face au système Le 29 octobre 1958, Boris Pasternak refusait le prix Nobel de littérature : « En raison de la signification attachée à cette récompense par la société dont je fais partie, je suis dans l’obligation de refuser cette distinction non méritée qui m’a été offerte. » Exclu l’avant-veille de l’Union des écrivains soviétiques, il cédait ainsi à la tempête de pressions qu’avait déchaînée la parution en Italie de Docteur Jivago. L’année précédente, en effet, excédé par les coupes qu’exigeait la revue littéraire Novy Mir, Pasternak avait pris le risque délibéré de faire paraître sans autorisation son livre à l’étranger, comptant – à tort – sur le «dégel» consécutif au XXe congrès du parti communiste soviétique en 1956. L’itinéraire de Pasternak peut servir de fil directeur pour comprendre la complexité des choix opérés, face à l’emprise du pouvoir, par des intellectuels partagés entre les espoirs, les désillusions et la nécessité de survivre. Pasternak avait entretenu dès février 1917 une relation ambiguë avec la révolution. Séduit par l’utopie de la création d’un monde entièrement nouveau, il n’entra pourtant jamais au parti communiste, préférant la réflexion sur l’écriture poétique et romanesque à l’engagement politique.L’Association russe des écrivains prolétariens, et plus encore l’Union des écrivains qui lui succéda en 1932, exigeaient cependant que les écrivains suivent l’«esprit de Parti» dans leurs thèmes et respectent les canons du réalisme socialiste. La tension entre ces exigences et la résistance de Pasternak éclata dans la seconde moitié des années 1930. Violemment mis en cause pour son «individualisme» (il avait évité d’approuver les grands procès), cerné par les condamnations et les suicides de ses amis, il ne fut pourtant pas arrêté, sans doute sur intervention de Staline qui avait apprécié la lettre envoyée par l’écrivain lors du suicide, en 1932, de sa femme. Après la victoire de 1945, Pasternak fut de nouveau attaqué pour sa «poésie apolitique sans contenu idéologique». En 1958, avec Docteur Jivago et la polémique d’ampleur internationale, c’est tout le système répressif qui s’exerça exemplairement contre lui. En 1958, Boris Pasternak sera contraint par les autorités de refuser le prix Nobel et mourra deux ans plus tardCette publication dans de nombreuses langues représentait une «trahison envers le peuple soviétique, envers la paix, envers le progrès, trahison pour laquelle il [avait] été payé par un prix Nobel destiné à raviver la guerre». Prix perçu comme une récompense politique à un livre «antisoviétique». L’œuvre et la vie de cet «intellectuel petit-bourgeois» étaient relus à la lumière du roman. Les critiques reprochaient à Pasternak d’y présenter favorablement une intelligentsia bourgeoise et individualiste, d’ignorer le rôle du peuple, enfin de multiplier les références au Christ dans les poèmes qu’il attribuait à Jivago. Le «rejet de la révolution socialiste» était au cœur des accusations.L’ensemble de l’affaire fut contrôlé par le Comité central du parti communiste. Toutes les méthodes furent employées : surveillance, lettres ouvertes, citations tronquées, allusions antisémites aux origines juives de Pasternak, arrêt des commandes de traduction et de publication. Une violente campagne de presse mobilisa les citoyens dont bien peu avaient lu l’œuvre, publiée à Moscou en 1988 seulement. En 1959, la publication du poème «antisoviétique» Le Prix Nobel, qu’il avait confié à un journaliste anglais, l’obligea à une nouvelle autocritique, et on le menaça de le déchoir de sa citoyenneté et de l’expulser. Pasternak recula. En URSS, la majorité des intellectuels, déchirés depuis 1956 entre conservateurs et libéraux, le condamnèrent. Mais une véritable campagne d’opinion mondiale, mobilisant les gouvernements, la presse, les Pen Club, s’éleva pour défendre l’écrivain devenu symbole de la liberté menacée en URSS.Après la mort de Pasternak, en mai 1960, la mémoire de l’homme et la réputation de son œuvre restèrent un enjeu pour le pouvoir soviétique. L’affaire avait montré les limites de l’audace politique tolérée et rappelé aux écrivains leur mission sociale et idéologique. En 1965, les dissidents Andrei Siniavski et Iouri Daniel firent aussi publier leurs écrits à l’étranger, mais en russe, sous pseudonyme. Ils furent condamnés au Goulag à l’issue d’un procès public.
C’est seulement en 1990 qu’ouvrit à Peredelkino, le village officiel des écrivains, un musée consacré au romancier, en même temps qu’étaient publiées à Moscou ses œuvres complètes.Pasternak l’invaincu – A propos du livre « Boris Pasternak » de Dmitri Bykov. « Il n’est de peine au monde que la neige ne puisse apaiser »
Que l’art trouve sa raison d’être dans la célébration de la vie, du vivant, voilà ce que la trajectoire et l’œuvre de Boris Pasternak, restituées avec maestria par Dmitri Bykov en une monumentale biographie, prouve de manière bouleversante. D’emblée, le biographe note : « L’oisiveté provoquait chez lui angoisse, malaise et peur de la mort. Seul le travail, même routinier, lui donnait le sentiment de maîtriser les circonstances. Et si les vers se mettaient à « venir », si s’établissait le lien avec des sphères supérieures génératrices de bonheur et de force, tout allait bien ».Selon Bykov, la poésie russe au XXe siècle trône au sommet de la poésie universelle, et Pasternak en est le plus glorieux représentant, lui qui considère le monde comme « une musique pour laquelle il faut trouver des paroles ». En 1917, c’est à travers une poésie lumineuse célébrant la plénitude de la vie que le jeune homme de 27 ans exprime l’esprit de la révolution. En 1922, il est amoureux, l’époque s’annonce grandiose : avec « Ma sœur la vie », son talent lyrique explose et on l’adule. Les lendemains vont vite déchanter après l’arrivée au pouvoir de Joseph Staline. Mais, curieusement, Pasternak traversera sans trop de dommages les années 1930 et la guerre. Certains purent lui reprocher une attitude louvoyante : il est vrai que, pour lui, l’art demeura jusqu’au bout la valeur suprême, digne que l’on acceptât un degré de compromission tolérable pour la conscience. Bykov, pour rendre compte de ce parcours ambigu, en appelle à la vitalité exceptionnelle de Pasternak et à ses capacités de régénérescence hors du commun, à ce qu’Anna Akhmatova, poétesse majeure, appelait son « don de l’éternelle enfance ». Mais Pasternak aurait aussi témoigné d’une sorte d’« aptitude à la perte », d’une « capacité à en tirer des forces et des significations nouvelles ». Comme si les épreuves, voire la catastrophe, comprise comme le fond occulte de la vie, en révélaient l’essentiel, donnaient accès à la vraie grandeur du vécu et à la beauté du monde, que le poète a pour vocation de célébrer.
Son écriture s’accommodera assez bien de la consigne du retour au réalisme ; il évitera les attaques directes contre Staline, et les purges l’épargneront. Il ne connaîtra pas le destin tragique de ses pairs et amis, engagés plus frontalement : Vladimir Maïakovski (1893-1930), qui mit fin à ses jours en 1930. Marina Tsvetaïeva (1892-1941), avec qui il entretient douze ans durant une correspondance, qui se suicida en 1941. Ossip Mandelstam, mort de froid et d’épuisement aux portes de la Kolyma en 1938 ; ou encore Isaac Babel, l’auteur, peu porté sur les « héros positifs », de Cavalerie rouge, fusillé en 1940, et dont la publication récente des œuvres complètes en français confirme quel formidable chroniqueur il fut de son siècle cruel. Comme Alexandre Pouchkine face à Nicolas Ier, explique Bykov, Pasternak endossera face à Staline le rôle du « premier poète », celui qui, sous un régime autoritaire, « s’oppose au pouvoir », mais « que le pouvoir s’adjuge et qui lui fait équilibre ». En 1934, quand Mandelstam est arrêté pour avoir écrit une virulente épigramme contre Staline, « L’Ogre ossète », Pasternak, lui, est admis dans la toute nouvelle Union des écrivains, rassemblant tous ceux qui « souhaitent participer à l’édification socialiste », à qui elle donne le statut d’écrivains de métier ; il sera membre de la direction et y restera jusqu’en 1945. Même plus tard, alors que ses vers ne sont pas publiés, qu’il vit difficilement de traductions dans sa retraite austère de Peredelkino et qu’il cherche à secourir ses amis persécutés, Staline reste comme retenu par une sorte de terreur sacrée devant la figure que Pasternak lui semble incarner.
Ce n’est pas Staline, mais Nikita Khrouchtchev qui aura raison de lui. Il faut se méfier des périodes de libéralisation, commente Bykov, « où le pouvoir montre moins ses crocs que ses limites ». Ce fut un tragique — et grotesque — malentendu : en décernant le prix Nobel à un écrivain russe en octobre 1958, l’Ouest voulait sans doute encourager le dégel ; les officiels soviétiques y virent une provocation. Le Docteur Jivago, paru un an plus tôt en Italie et traduit en vingt-trois langues en l’espace de six mois, célèbre un héros solitaire, exerçant son droit de ne pas participer aux errements de son époque. Soumis à de fortes pressions, Pasternak se voit contraint de refuser le prix et meurt en 1960. Le Docteur Jivago ne sera publié en URSS qu’en 1988. Ensuite, il ne sera plus guère lu qu’à l’école, devenant « un item de la panoplie officielle des valeurs russo-soviétiques », quelque part entre « le caviar, le cosmos, Pouchkine et les poupées gigognes ».
Romancier et poète Boris PasternakBoris Pasternak a remporté le prix Nobel de littérature en 1958, peu après la publication de son roman « Dr Jivago » (1957). Le livre, qui se déroule pendant la révolution de 1905, a été interdit en Russie et Pasternak a été contraint de refuser le prix Nobel. Cependant, le livre a été publié en Occident et transformé plus tard en un film majeur réalisé par David Lean avec Omar Sharif et Julie Christie .
Avant cela, Pasternak était avant tout un poète. Il a publié son premier volume en 1914 et s’est fait un nom avec son œuvre de 1922 « Sestra moya—zhizn (1922 ; « Ma sœur—vie »), composée pendant la Révolution russe. Pasternak est également devenu un traducteur réputé de poètes géorgiens, des pièces de Shakespeare. et le Faust de Goethe.
Événements historiques
1958-09-05 « Docteur Jivago » roman de Boris Pasternak publié aux États-Unis
1958-10-23 Le romancier soviétique Boris Pasternak remporte le prix Nobel de littérature
1958-10-29 Boris Pasternak refuse le prix Nobel de littérature
1965-12-22 « Docteur Jivago » basé sur le roman de Boris Pasternak, réalisé par David Lean et mettant en vedette Omar Sharif et Julie Christie premières à New York
https://www.lhistoire.fr/pessac-2016/staline-et-ses-artistes-le-cas-pasternak
https://www.monde-diplomatique.fr/2012/03/AUTRAND/47507
https://www.espritsnomades.net/litterature/boris-pasternak-la-vie-en-soi/