L’Ossétie du Sud, un abcès de fixation dans les coulisses du conflit russo-géorgienLe 20 avril 1922, la Région autonome d’Ossétie du Sud est créée au sein de la République socialiste soviétique de Géorgie. Elle compte alors 58 000 habitants, dont une majorité d’Ossètes. En Transcaucasie, au nom de l’«internationalisme», Moscou renforce son pouvoir, en jouant sur les nationalismes.L’Ossétie du Sud est un territoire situé dans le Caucase. Son statut est contesté : elle a proclamé son indépendance en 1992, mais la Géorgie considère qu’elle fait partie de son territoire.
Moyen Âge et débuts des temps modernesArrivés dans le Caucase après avoir été chassés du Sud du Don par les invasions mongoles, les Ossètes, descendants des Alains, sont devenus chrétiens au Moyen Âge sous l’influence de leurs voisins géorgiens. Dans le Caucase, ils forment trois entités territoriales distinctes, Digor, Tualläg et Iron. Digor, à l’Ouest, était sous l’influence des Kabardes, qui introduisent l’Islam. Tualläg, au Sud, qui correspond à l’actuelle Ossétie du Sud, fait partie de la communauté historique géorgienne de Samachablo. Iron, au Nord, sur le territoire de l’actuelle Ossétie du Nord, tombe sous la domination impériale russe en 1767.Au sein de l’Union soviétique
Le gouvernement soviétique géorgien, mis en place par le onzième régiment de l’Armée rouge en 1921, crée l’Oblast autonome d’Ossétie du Sud le 20 avril 1922, territoire d’une superficie de 3 900 km², alors peuplé de 99 400 habitants, et qui fut inclus au sein de la RSS de Géorgie. La partie dénommée Ossétie du Nord fut insérée dans la Fédération de Russie comme région autonome, officiellement car la chaîne du Caucase, très difficilement franchissable (cols à plus de 2 000 m) est un défi à toute administration commune. Depuis 1925, les Ossètes réclament l’unification. Bien que les Ossètes aient leur propre langue, le russe et le géorgien sont institués langues administratives de l’oblastL’Ossétie du Sud face aux nationalismes
Génocide» : le mot a claqué comme un coup de fusil dans la bouche d’un Vladimir Poutine qualifiant le bombardement de Tskhinvali par les troupes géorgiennes, tandis qu’il réconfortait des réfugiés d’Ossétie du Sud. Tbilissi, à son tour, accuse Moscou de «complicité de nettoyage ethnique» et porte l’affaire devant le Tribunal pénal international. La propagande russe, reprenant un argumentaire de l’Ossétie du Sud, que d’autres ont banalisé dans les Balkans, dénonce la «barbarie» exercée depuis près d’un siècle par une «Géorgie nationaliste» à l’encontre de sa minorité ossète, une population de langue iranienne qui se glorifie de ses racines scythes.A Tbilissi, on se flatte d’une conduite exemplaire à l’égard des Ossètes du Sud, «hôtes ingrats», selon l’expression de Zviad Gamsakhourdia, (président de la Géorgie de 1991 à 1992) «venus en Chida Kartli aux alentours du XVIIe siècle» : historiens, journalistes et hommes politiques décrivent une cohabitation harmonieuse sapée par les complots de la Russie, qu’elle soit soviétique ou «démocratique», qui refuse à la Géorgie l’exercice de sa pleine souveraineté sur la totalité de son territoire. On l’aura compris : en période de guerre, les mots aussi peuvent tuer. Le maniement de l’histoire, particulièrement dans le sud du Caucase où les vieilles nations se glorifient d’un passé ancien et prestigieux, est une autre manière de mener un combat sans merci. Il est urgent de rappeler les faits historiques.Dans cette mosaïque ethnique et religieuse, peut-être plus qu’ailleurs dans l’espace postsoviétique, les tracés de frontières imposés par les empires successifs et par les conflits qui ont opposé les Etats caucasiens lors de l’effondrement de l’empire russe, n’ont jamais reposé sur un consensus. Les divisions administratives ont été le plus souvent imposées par Moscou à la suite d’une soviétisation (1920-1921) menée par l’Armée rouge, qui avantageait certains au détriment des autres, même si le sort commun est la perte de la liberté. Soixante-dix ans plus tard, les nouveaux Etats indépendants nés de l’effondrement de l’Union soviétique entreprennent de consolider leurs frontières, voire les réviser, face à des minorités nationales ou religieuses tentées par l’allégeance à un Etat voisin, ou par la sécession. Dans ce contexte de fragilité, chacun veut imposer la légitimité historique de sa souveraineté, démontrer l’ancienneté de ses racines et la supériorité de sa culture. Dans toute course à la singularité, les dérapages sont fréquents.En 1917, l’empire tsariste s’effondrait. En Géorgie, un puissant Parti social-démocrate conduit le pays à l’indépendance (26 mai 1918), damant ainsi le pion à un mouvement bolchevique qui peine à s’imposer. Les communistes russes s’appuient alors sur des minorités nationales qui, inquiètes de l’émergence d’une nation géorgienne soupçonnée de visées hégémoniques, voient en Moscou un contrepoids.En Ossétie du Sud, le PC est bien implanté. Ses membres tentent de transformer la région en base avancée de la Russie soviétique. Le 8 mai 1920, le pouvoir soviétique y est proclamé. Or, la veille, à la suite d’un traité signé par Tbilissi et Moscou, l’Armée rouge, après avoir conquis l’Azerbaïdjan, doit renoncer à envahir la Géorgie. Les autorités géorgiennes s’empressent de rétablir l’ordre. Après six ans de guerre mondiale, de conflits régionaux et de guerre civile russe, l’opération se fait de manière très brutale. En Ossétie, les fusillades et les villages incendiés lors de cette opération s’inscrivent en traumatisme dans la mémoire collective.En février 1921, la Géorgie est soviétisée par l’Armée rouge épaulée par des bataillons issus des régions séparatistes. Le 20 avril 1922, la Région autonome d’Ossétie du Sud est créée au sein de la République socialiste soviétique de Géorgie. Elle compte alors 58 000 habitants, dont une majorité d’Ossètes. En Transcaucasie, au nom de l’«internationalisme», Moscou renforce son pouvoir, en jouant sur les nationalismes. L’identité ossète se développe au sein d’un état multinational dont la centralisation forcenée joue aussi sur les différences. La création de la République autonome d’Ossétie du Nord, en 1936, renforce cette identité, malgré une intégration apparemment harmonieuse des minorités au sein de la Géorgie soviétique. Dans la nuit stalinienne, aux yeux des Ossètes ou des Abkhazes, l’oppression a déjà un visage géorgien.La perestroïka, en libérant la parole, met face-à-face des nations et ethnies spoliées de leurs références culturelles et religieuses, privées de leur mémoire historique. En Ossétie du Sud, dès 1988, la tension monte avec Tbilissi. Peu avant la venue au pouvoir des nationalistes géorgiens hostiles à l’autonomie, les autorités de Tskhinvali proclament, le 20 septembre 1990, leur région «République fédérée» indépendante de la Géorgie. Le 11 décembre, le nouveau Parlement dissout la Région autonome, qui est bientôt déchirée par une guerre civile. La Géorgie organise alors un blocus de l’Ossétie du Sud, qui sera brisé par l’armée soviétique en avril 1991. Les affrontements se poursuivent : on compte des centaines de morts et des dizaines de milliers de réfugiés de part et d’autre.
Après la chute de Zviad Gamsakhourdia, la situation s’améliore, une paix précaire s’installe sous le contrôle de la Russie. En août 1992, le déclenchement du conflit en Abkhazie relègue la question ossète au second rang des priorités. Mais le refus de Tbilissi de rendre à l’Ossétie du Sud son autonomie renforce l’aspiration à une unification des deux Ossétie. La question de l’Ossétie du Sud, malgré les rancœurs, est désormais un «conflit gelé» régulé par une force d’interposition tripartite (Géorgiens, Russes, Ossètes). Elle est devenue un lieu d’échanges commerciaux et de trafics en tous genres couverts par les élites politiques des deux parties.
La «révolution des roses» met fin à ce statu quo. Au cours de l’été 2004, Mikhaïl Saakachvili, qui a promis solennellement à son peuple de lui rendre les territoires perdus, lance une première opération militaire qui échoue. En 2006, la population de l’Ossétie du Sud, appelée à un référendum, se prononce pour l’indépendance. Mais celle-ci n’est pas reconnue par la communauté internationale. De son côté, Moscou, qui n’accepte pas le rôle effacé que Tbilissi voudrait lui imposer, a intérêt à faire durer les «conflits gelés», d’autant plus que la Géorgie, désormais alliée stratégique des États-Unis, aspire à intégrer au plus vite l’Otan. Incidents et provocations, dont l’autre est toujours responsable, renforcent la méfiance, ravivent les traumatismes. Jusqu’au 8 août dernier, malgré les plans de paix géorgiens et les déclarations généreuses de Mikhaïl Saakachvili, en particulier son intervention télévisée quelques heures avant le pilonnage de Tsinkhvali, la mémoire des traumatismes plane sur une Ossétie du Sud rétive à toute cohabitation avec la Géorgie.
https://www.france24.com/fr/20080813-lossetie-sud-abces-fixation-russo-georgien-chronologie
https://www.liberation.fr/tribune/2008/08/21/l-ossetie-du-sud-face-aux-nationalismes_78426/