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11 mars 2001 – Les talibans anéantissent 2 000 ans d’histoire bouddhiste

Afghanistan : les derniers jours de Bamiyan avant le retour des talibansImageLes bouddhas de Bamiyan, victimes des TalibansImageLa mort des bouddhas de BamiyanImageAu cœur de la vallée afghane autrefois sereine de Bamiyan, le bruit des coups de feu et des explosions de mortier a pu être entendu hier.  Des hommes barbus vêtus de baggy salwar kameezes ont chargé et rechargé leurs lance-roquettes sous un ciel azur clair. Les combattants talibans étaient occupés – occupés à détruire deux bouddhas géants sculptés à flanc de colline il y a près de 2 000 ans, occupés à effacer toutes les traces d’un riche passé préislamique.  Bien que personne ne le sache avec certitude, il semble probable que les immenses bouddhas, autrefois l’attraction touristique la plus célèbre d’Afghanistan, aient été pulvérisés. Des sources talibanes et de l’opposition ont confirmé hier que les troupes avaient passé toute la journée à les démolir. « Ils ont commencé à attaquer les Bouddhas avec des fusils et des obus de chars, avec toutes les armes qu’ils portent», a déclaré hier soir une source de la milice. « Les gens leur tirent dessus en raison de leurs propres sentiments. »https://www.francetvinfo.fr/pictures/HEf7F6Q-C5cc2ciPyb9kDoNvjR4/1200x1200/2021/10/08/phpfpLnLi.jpgLes diplomates occidentaux espéraient que le mollah Mohammed Omar, chef spirituel des talibans, reconsidérerait l’édit qu’il a publié lundi ordonnant la destruction de toutes les statues d’Afghanistan, qu’il considère comme idolâtres.  Un raz-de-marée de condamnations internationales de la part des États-Unis, de l’Allemagne, de la Russie, de l’Inde, de l’Union européenne et même du Pakistan, l’allié le plus proche des talibans, n’a fait aucune différence. Il semble que les commandants locaux aient déjà lancé une attaque féroce, avant que les statues ne puissent être officiellement détruites. Image « Nous avons également entendu des informations selon lesquelles ils les attaquent avec des roquettes et des obus de chars », a déclaré hier soir le porte-parole de l’opposition Mohammad Bahram, s’exprimant depuis les montagnes occidentales de Bamiyan, qui sont contrôlées par des groupes anti-Talibans. La vallée isolée, au fond des montagnes de l’Hindu Kush, a été le théâtre de violents combats le mois dernier, lorsqu’elle est brièvement tombée aux mains des forces de l’opposition. Les talibans l’ont repris en grand nombre. Une grande partie du matériel utilisé lors de cette offensive jonche le flanc de la montagne et est maintenant déployée contre un ennemi de grès incapable de riposter.  La vallée, visitée par les pèlerins bouddhistes depuis des centaines d’années, a été fermée aux étrangers le mois dernier et les Afghans locaux ont également été tenus à l’écart.

Dans toutes les villes d’Afghanistan, l’édit du mollah Omar a été mis en œuvre hier, ont suggéré certaines sources. Il y a deux jours, le ministre de l’Information, Qudratullah Jamal, a confirmé que les statues historiques du musée bombardé de Kaboul et des provinces de Ghazni, Herat, Jalalabad et Kandahar étaient également détruites. Les experts culturels occidentaux craignent que pas moins de 6 000 antiquités bouddhistes – dont certaines se trouvent dans le sous-sol du ministère de l’Information des talibans – aient déjà été détruites.Les grands bouddhas de Bamiyan détruits par les talibansLe directeur général de l’Unesco, Koichiro Matsuura, a déclaré : « Les mots me manquent pour décrire de manière adéquate mes sentiments de consternation et d’impuissance face aux rapports sur les dommages irréversibles causés au patrimoine culturel exceptionnel de l’Afghanistan ».  La destruction, qui n’a fait qu’ajouter à la misère de cet État paria brisé par la guerre, est considérée par la plupart des observateurs comme une réponse provocante à la nouvelle vague de sanctions de l’ONU imposées à l’Afghanistan le mois dernier.  Le pays est déjà en proie à la pire sécheresse depuis 30 ans, avec 12 millions de personnes touchées, dont 3 millions sont au bord de la famine. Environ un demi-million d’Afghans ont fui leur foyer cette année, dont beaucoup dans un exode massif vers le Pakistan voisin.  Dans la capitale, Kaboul, hier, une femme, un bébé de deux mois et un garçon de quatre ans ont été piétinés lors d’une bousculade pour des coupons alimentaires caritatifs.https://www.francetvinfo.fr/pictures/B1Rr8_om9c-qwkO0bOI49p1wvgE/752x423/2021/09/10/phpfwUfLP.jpgLa mobilisation mondiale contre la destruction des bouddhas n’a pas provoqué l’intervention militaire étrangère à l’automne 2001 ni l’effondrement du régime taliban. Néanmoins, l’iconoclasme des talibans a sûrement contribué, en Occident, à la délégitimation de leur régime.

Des sites archéologiques de grande valeur  ImageNous sommes fin juin 2021. Au cœur de l’Afghanistan, cette vallée s’étire à 240 kilomètres au nord-ouest de Kaboul, à la rencontre des chaînes de l’Hindu Kuch et du Koh-i-Baba. Dans son écrin de montagnes aux plis ocre et de falaises crénelées, cette terre de légendes abrite des sites archéologiques de grande valeur, parmi les plus beaux trésors du pays. Négligée par les fondamentalistes ces vingt dernières années au point de constituer un havre de paix inégalé en Afghanistan, Bamiyan se veut notamment un symbole de l’émancipation des femmes afghanes, présentes aussi bien dans les bazars qu’à l’université ou dans les bureaux.Afghanistan : les talibans veillent sur le site des Bouddhas de BâmiyânLa vallée accueille des centaines de touristes locaux, un phénomène inexistant dans le reste de l’Afghanistan. Une course de ski de randonnée, unique dans le pays, y est organisée chaque hiver, quand la neige recouvre les sommets de l’Hindu Kuch. Un marathon mixte y a même été couru, passant notamment par le parc national de Band-e-Amir, du nom du somptueux lac bleu azur situé à moins de deux heures de route des bouddhas. Mais surtout, son patrimoine archéologique attire toujours plus de fonds étrangers, d’experts européens, voire de projets loufoques, comme la reproduction en 3D des bouddhas. Mais en ce début d’été, l’heure est à la panique : les talibans, dont le règne de 1996 à 2001 fut marqué par la terreur et la brutalité, n’ont jamais été aussi proches de reprendre le pouvoir.Afghanistan : le très riche patrimoine culturel est-il menacé par le retour des talibans ? - Le ParisienDeux premiers districts viennent de tomber entre les mains des fondamentalistes. Au moment de notre reportage, les combats font rage aux abords des check-points marquant les entrées des bourgs. Les deux routes principales qui rallient Bamiyan à Kaboul sont passées sous contrôle taliban la semaine dernière. Et ici il n’y a pas de vols commerciaux, seul un coucou des Nations unies atterrit de temps à autre à l’aéroport, mais il n’est pas destiné aux civils. Une prison sans barreaux donc, que l’hiver abyssal – long de huit mois dans cette vallée perchée à plus de 2000 mètres d’altitude – plongera le moment venu dans un isolement tragique : si les camions de ravitaillement ne sont plus autorisés à pénétrer dans la vallée, comment ses habitants pourront-ils survivre ? Par le passé, la faim les a déjà conduits à capituler face aux talibans.https://www.leparisien.fr/resizer/Tdi7EawcLNxJV7645iuzCJu00wI=/932x582/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/CPATYR5HJ5MM37YHYNVTAWN6QE.jpgCes derniers n’ont jamais été bienvenus sur ce territoire : Bamiyan est essentiellement peuplé de Hazara, une ethnie majoritairement chiite dans un pays sunnite, qui, dit-on souvent ici, aurait hérité ses yeux bridés des conquérants mongols de Gengis Khan (une hypothèse qui divise encore aujourd’hui les historiens). Plus de 15 000 Hazara furent massacrés durant le premier règne des talibans, qui les considèrent comme des hérétiques. Des exactions d’une violence inouïe, comme en témoigne l’acharnement avec lequel ils supplicièrent, en 1995, le chef de guerre hazara Abdul Ali Mazârî, torturé, émasculé, sa tête aux yeux crevés exhibée sur un piquet, après qu’il se fut rendu aux islamistes.  Ce sont les yeux de Salsal et Shamama aussi que les talibans visèrent d’abord, en mars 2001, à coups de salves de kalachnikovs, avant d’opter pour des explosifs antichars plus puissants.https://www.leparisien.fr/resizer/g7joYCv2XbSckswhaslMiBhmkpo=/622x892/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/BYD7QY4VVHTXSVGJWUGZ26NSNI.jpgEn pulvérisant les colosses, la déflagration fragilisa profondément les niches des statues, dont la plus grande menace de s’effondrer – «Cela arrivera dans dix ans, au plus tard», estime Reza Mohammedi. Si aucun effort n’est entrepris pour les végétaliser, afin de retenir la terre, les principaux sites risquent de retourner à la poussière, craint-on à l’Unesco, qui a inscrit le site en 2003 sur la liste du patrimoine en péril.  Les bouddhas starisés ont attiré à eux seuls plus de 27 millions de dollars pour la consolidation de leurs vestiges, principalement des fonds japonais. Leur reconstruction a même été envisagée, puis abandonnée, après des années de controverses entre différentes agences de développement. Ce n’est pas le péril taliban qui a fait capoter le projet, explique Reza Mohammedi, mais les critères de l’Unesco pour décider qu’un site doit être protégé. «Bamiyan a été inscrit sur la liste de l’organisation onusienne pour des bouddhas datant des VIe et VIIe siècles, pas pour une construction de 2021 !» insiste-t-ilHoping to attract Chinese investment, Taliban now preserve buddhasProtéger les sites archéologiques en Afghanistan  ImageUne promenade borde la falaise abritant les niches, mais aussi une constellation de grottes, d’anciennes cellules de moines bouddhistes des IVe et Ve siècles. Quelques familles vivotent sous ces dômes de grès sans aération ni eau courante. Seuls de petits panneaux solaires, touches scintillantes épinglées sur la roche, leur garantissent quelques heures d’électricité.PAX - C'est arrivé il y a 20 ans : la destruction des bouddhas de BamiyanPostés face aux bouddhas, des gardes armés saluent Reza Mohammedi lors de son tour d’inspection : ils font partie du groupe Zero 12, une force de 500 hommes affectée à la protection des sites archéologiques sous la houlette du ministère de la Culture et de l’Intérieur. Sa mission : empêcher les pillages. Lesquels sont légion en Afghanistan, «et pas, a priori, le fait des talibans, souligne Philippe Marquis, le directeur de la Direction archéologique française en Afghanistan, que nous rencontrons à Kaboul. Le mouvement a peu de contrôle sur ces actes, qui sont plutôt des initiatives isolées de la part d’individus issus des communautés alentour et qui réalisent des profits très minimes.»

Face à la grande niche, des étudiantes vêtues de tuniques brodées aux couleurs pastel multiplient les selfies. «Je me suis faite belle pour les bouddhas», avoue Madina Fazli, 20 ans, silhouette longiligne et sourire franc. Derrière elle, des touristes afghans habillés à l’occidentale, venus de Kaboul, sont assis sur un rocher ocre. Non, ils n’ont pas eu peur d’emprunter la route sous contrôle taliban, car «les talibans ne font pas d’ennuis à ceux qui n’ont pas travaillé pour le gouvernement ou pour les étrangers», témoigne le jeune Baheer Humayoon, 24 ans. «Surtout si les voyageurs sont des Pachtouns, comme eux…», maugrée Reza Mohammedi. C’est en effet parmi cette ethnie, qui représente environ 39 % de la population afghane, que les talibans recrutent la majorité de leurs partisans. «Nous craignons que certains touristes ne servent d’informateurs, confie l’un des conservateurs du site, dont nous tairons l’identité par sécurité. Et il n’y a pas que les Pachtouns. De nombreux Tadjiks [autre ethnie sunnite] pactisent avec l’ennemi.»

Un pays parsemé de vestigesQue faire des Bouddhas de Bamiyan? | La PresseSitué sur la route de la soie reliant autrefois l’Inde à l’Iran et à la Chine, l’Afghanistan est encore parsemé de vestiges d’anciennes villes, monastères et caravansérails qui ont accueilli des voyageurs illustres, dont Marco Polo. Le pays fut un berceau de l’art du Gandhara, région antique d’Asie centrale où l’architecture et l’iconographie alliaient influences bouddhiques venues d’Inde et esthétique grecque apportée par Alexandre le Grand. «On ne sait toujours pas très bien pourquoi les moines creusèrent ces trous dans la roche plutôt que de s’établir sur la terre ferme, note l’archéologue en chef Philippe Marquis. Sans doute par réflexe défensif.»

https://www.geo.fr/geopolitique/afghanistan-les-derniers-jours-de-bamiyan-avant-le-retour-des-talibans-206852

https://www.theguardian.com/world/2001/mar/03/afghanistan.lukeharding

https://www.mei.edu/publications/death-buddhas-bamiyan

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