Reportage: le massacre des prisons en 1988 en Iran
Le massacre en 1988 : Celles et ceux qui ont répondu à l’appel de la liberté en Iran
Les dirigeants iraniens « sont responsables » de l’exécution de 30 000 prisonniers politiques en 1988
En 1988, Khomeiny, le guide suprême des mollahs, a lancé sa «solution final» par une fatwa décrétant le massacre des prisonniers politiques en Iran. Durant le terrible été 1988, plus de 30 000 prisonniers politique dont une grande partie était en prison pour avoir milité ou sympathisé avec les Moudjahidine du peuple d’Iran, la principale force d’opposition au régime, ont été exécutés.
Un document exceptionnel
Un enregistrement exceptionnel publié début aout 2016 par le fils de Montazeri sur le site officiel de son père, apporte des preuves accablantes contre le régime des mollahs et révèle aussi d’affreux détails sur le massacre des femmes. Il s’agit de l’enregistrement d’une rencontre de 40 minutes entre Montazeri et les membres de la Commission de la mort, peu après le début du massacre. On entend parler de l’exécution d’une jeune fille de 15 ans emprisonnée depuis à peine deux jours dans le but de briser son frère résistant ; mais comme elle n’a rien dit contre son frère exécuté, on l’a elle aussi exécutée. La bande fait également référence à l’exécution d’une femme enceinte à Ispahan. L’image globale du massacre de 1988 reste floue parce que à cause de son ampleur, et qu’il a englobé toutes les prisons du pays. Dans certains cas, il n’y a pas eu de survivant. Le régime des mollahs a fait de toutes les informations sur massacre un délit, pensant éviter les fuites. Ce qui est connu a donc été reconstitué à partir d’un nombre limité d’informations rapportées par les rares survivants, les rares familles convoquées pour récupérer les corps de leurs proches, ainsi que des aveux ici et là d’anciennes autorités du régime. L’autre aspect de ce crime contre l’humanité démontre la fermeté d’une génération qui n’a pas cédé sous la menace de la mort et qui a défendu son identité intrinsèquement liée à la liberté de la nation. Cette génération a ainsi scellé le droit au libre-choix et à la liberté d’opinion.
Au cours de l’été 1988, environ 30 000 prisonniers politiques dont plus de 90% étaient des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI, la principale opposition au régime iranien), visés par un ordre d’exécution de l’ayatollah Khomeini, ont dû affronter les «commissions de la mort». Ces commissions étaient formées dans chaque province par trois ou quatre représentants du régime. Ebrahim Raïssi, l’actuel président iranien, alors procureur adjoint, était membre de celle de Téhéran.
On vérifiait en une minute si le détenu politique – y compris les personnes ayant déjà été jugées et qui avaient purgé leur peine – était resté fidèles à ses convictions. Auquel cas c’était l’exécution immédiate. Ce massacre orchestré par la dictature religieuse en place «fut le point culminant des atrocités», a dernièrement déclaré Jeffrey Robertson, ancien président du tribunal spécial de l’ONU pour la Sierra Leone.
Jeffrey Robertson explique que deux raisons, «raciales ou religieuses» font qu’un massacre est considéré comme un génocide. «Il faut revenir à la fatwa de Khomeiny: ‘Comme les hypocrites traîtres ne croient pas en l’islam, que tout ce qu’ils disent est basé sur la tromperie et l’hypocrisie, qu’ils sont des apostats, et parce qu’ils sont en guerre contre Dieu, ils doivent être exécutés.’ Ainsi la raison principale de ce massacre était la guerre contre Dieu», conclut-il.
Pour Eric David, professeur émérite de droit international à Bruxelles, «il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité»2. Et de préciser: «Cela va même plus loin qu’un génocide: les victimes ont été tuées parce qu’elles appartenaient à un courant de l’islam que le gouvernement des mollahs renie. [Elles] ont été massacrées pour des raisons religieuses, conformément à l’article 2 de la Convention de 1948 sur le génocide».
L’assassinat du professeur Kazem Radjavi, premier ambassadeur d’Iran à l’ONU à Genève après la chute du chah, a été commis en 1990 parce qu’il dénonçait le massacre des prisonniers politiques de l’été 1988. C’est pourquoi les juges suisses du Tribunal pénal fédéral ont décidé que l’enquête menée jusqu’à ce jour sous le nom d’assassinat (de Kazem Radjavi) s’étend «à des crimes de génocide et crimes contre l’humanité.»
L’OMPI considère la liberté comme l’essence même de l’existence. Elle estime que c’est l’un des enseignements fondamentaux de l’islam. De fait, depuis le premier jour du régime des mollahs, la question de la liberté est à la base du conflit entre l’OMPI et Khomeiny. Ce dernier dénonçait la liberté comme une question occidentale n’ayant rien à voir avec l’islam.
L’OMPI défend et pratique l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, notamment à la direction politique. Depuis de dizaines d’années, ce sont des femmes qui se succèdent à la tête de cette organisation. Elles forment la majorité du parlement en exil de la résistance iranienne, le CNRI, auquel l’OMPI adhère. Dans son plan sur les libertés des femmes, le CNRI leur reconnait le droit de se vêtir comme elles veulent, alors que les mollahs imposent un code vestimentaire humiliant. Sous leur régime, il existe plus de vingt organes de contrôle et de répression des femmes.
L’OMPI défend la souveraineté populaire: la légitimité politique ne résulte que du vote libre du peuple. Elle est la seule organisation musulmane du Moyen-Orient à défendre la séparation de la religion et de l’Etat. Pour Khomeiny et son successeur Khamenei, leur légitimité vient du ciel; ils se proclament les représentants de Dieu sur Terre. Outre la sélection des candidats aux élections par des organes nommés par le guide suprême, ce dernier est en droit de destituer le président, tuteur du peuple considéré comme «mineur».
C’est pour toutes ces différences que Khomeiny a lancé en 1988 une fatwa ordonnant le massacre de tous les membres et partisans de l’OMPI qu’il taxait d’ennemis de Dieu. Un génocide.
https://lecourrier.ch/2021/11/29/un-genocide-religieux/
https://women.ncr-iran.org/fr/2021/07/28/celles-et-ceux-qui-ont-repondu-a-l-appel-de-la-liberte-en-iran/