Fernel, Philosophe, mathématicien, astronome devenu médecinJean Fernel, médecin français (inventeur du terme «physiologie» ) : Jean François Fernel a vécu de 1497 à 1558. De l’homme on ne connaît que peu de choses. Une Vie de Fernel par Guillaume Plancy est parue dans l’édition de l’Universa Medicina de 1574 procurée par lui. Plancy avait hérité de manuscrits de Fernel et cette biographie ancienne reste une source essentielle pour connaître sinon l’histoire personnelle du médecin, du moins les principales étapes de sa carrière. Étienne Pasquier lui aussi a fréquenté Fernel, son aîné de plus de trente ans, notamment à partir des années 1550 et parle à plusieurs reprises de lui, dans sa correspondance et dans les Recherches de la France.Néanmoins, seule une étude systématique des dédicaces et des correspondances des contemporains de Fernel permettra de reconstituer sa familia et de mieux situer Fernel dans le milieu intellectuel des médecins parisiens de son époque. Signalons parmi les membres de cette familia, Jacques Louis Strébée, traducteur des Politiques d’Aristote (1556), le médecin d’Amiens Guillaume de Plan, Charles Fontaine et Antoine Cotel. Nul doute que les archives notariales permettraient d’éclairer un certain nombre de points de sa carrière, notamment le rôle joué dans celle-ci par son mariage en 1531 avec la fille d’un conseiller au Parlement de Paris. Cette alliance avec les milieux parlementaires a probablement joué un rôle important dans la réussite de Fernel : ses consilia, c’est-à-dire le recueil de ses consultations, témoignent – du moins pour ce qui concerne ceux des patients qu’on peut identifier – que la clientèle de Fernel était en partie composée de personnes appartenant aux milieux de la Cour et de la Robe.La clientèle de Fernel se recrutait notamment parmi les membres de la noblesse d’épée. Certains de ses patients occupaient de hautes charges au service de la Couronne ; d’autres appartenaient au monde de la diplomatie. Le mécénat princier puis royal a, en effet, joué un rôle déterminant dans la carrière de Fernel. Ce que nous appelons la réussite, les hommes de l’époque l’attribuaient à la Fortune. La Fortune aurait voulu que Fernel soit appelé par le futur Henri II au chevet de Diane de Poitiers et qu’il l’ait guérie d’une maladie dont elle souffrait. Or c’est de cette époque que date la liaison d’Henri avec Diane. Le destin des Valois aura voulu que Fernel soit remarqué par le fils cadet de François I, au moment où ce dernier allait devenir Dauphin à la mort de son frère aîné. Fernel resta attaché à Henri lorsque ce dernier monta sur le trône en 1547. Le titre d’archiatre dont il est honoré dans les éditions contemporaines de ses œuvres doit être entendu au sens plein du terme : Fernel reçut le titre de Premier médecin du Roi qu’il conserva toute sa vie. Fernel mourut quelques mois avant l’accident qui lors d’une joute, coûta la vie au monarque qu’il servait.Exactement un siècle plus tard paraissait l’Art de la Prudence de Balthasar Gracian. Les maximes du chapitre dix de l’ouvrage de Gracian traitent de la fortune et de la renommée : “ l’une a autant d’inconstance que l’autre de fermeté…La fortune se désire et se fait quelquefois avec l’aide des amis, la renommée se gagne à force d’industrie ”. À l’époque où paraît l’Art de la Prudence, la renommée de Fernel est à son apogée. Si cette renommée s’est maintenue durant plus d’un siècle, cela tient en premier lieu à la figure de Fernel, telle que l’ont construite ses disciples et les dernières générations de la Renaissance française. Pour ces générations de la seconde moitié du seizième siècle en effet Fernel est une des gloires de l’humanisme français. La Vie de Fernel par Guillaume Plancy, les préfaces aux œuvres, l’Éloge de Fernel par Scévole 1er de Sainte-Marthe, paru dans les Elogia de 1598 et qui figure encore, traduit par Colletet, dans l’édition française de la Thérapeutique universelle, due à Jean du Teil et publiée à Paris en 1648, sont autant de textes qui célèbrent en Fernel le triomphe du savoir lettré mis au service de l’art médical. Julien le Paulmier dans sa préface aux Consilia loue Fernel pour sa connaissance de la tradition ancienne et moderne. Fernel a su en tisser cette trame continue et pertinente, copiose et apposite, qui distingue son discours médical. Dans ses traités, Fernel séduit ses lecteurs « par le miel de son discours et le suc de ses avis ». Si, fait exceptionnel, le style des consilia apparaît trop relâché, dimissior, c’est que certains des textes que le lecteur a sous les yeux ne sont que sont des adversaria, de simples brouillons.En dépit de leur technicité en effet, les traités achevés de Fernel sont rédigés dans un latin élégant qui a fait l’admiration des contemporains. La période y est cicéronienne ; elle procède par distinctions et divisions, dans un souci de précision manifeste dans la façon dont Fernel rend en latin la nomenclature grecque dont les termes sont cités en marge des éditions les plus anciennes. Mais tout autant que le style et l’érudition de Fernel, ce qui a frappé les contemporains dans son œuvre est l’ordre et la clarté avec lesquels il traite des matières. Dans l’Universa Medicina, Fernel rassemble les connaissances médicales de son temps, il en établit un bilan critique et les répartit selon leur objet entre plusieurs livres ayant chacun sa finalité propre. Chaque chapitre est constitué par une suite de topoi qui sont traités avec ordre en allant de ce qui est tenu pour acquis a ce qui fait problème et en progressant de ce qui est le plus évident à ce qui est le moins évident, comme dans une dissection. Comme l’écrit Le Paulmier, l’œuvre dissecte et démontre les principes de l’art de soigner, comme dans un théâtre d’anatomies, sanationum velut theatra.Dans ses traités les plus théoriques, Fernel adopte parfois la forme du dialogue ou de la dispute. Dans le De Abditis Rerum Causis, Fernel met ainsi en scène trois personnages, Philiatros l’amoureux de médecine et le meneur de jeu, Brutus « le substitut d’Esculape », aut si mavis per Hippocratis genium, et Eudoxe qui raisonne mathématicorum more. Ce jeu de rôle a pour objet de faire avancer point par point l’argumentation, mais tout conventionnel que soit ce mode d’écriture, il reflète la façon dont Fernel conçoit la recherche intellectuelle.Nous savons par Plancy que Fernel avait débuté comme régent de philosophie au Collège de Sainte-Barbe. Reçu médecin en 1535 selon Plancy, il fut tout de suite chargé d’un cours sur Hippocrate et Galien in publicis medicorum scholis [1]. Il avait aussi coutume de rassembler chez lui un cercle où de jeunes nobles venaient s’initier aux mathématiques et partir sous sa conduite à la recherche de la vérité : Veritatis potius quam honoris et amicitiae obstringamur écrit-il dans son De Abditis Rerum Causis (I, 10). Fernel, le « docte Fernel » de la Lettre à Turnèbe d’Étienne Pasquier, appartient au milieu parisien des médecins lettrés, moins connu que celui des juristes, mais qui comme ce dernier forme une composante de la respublica literaria antiqua parisienne.Pour ses contemporains et pour les générations suivantes, les écrits de Fernel réunis dans un ordre devenu par la suite canonique et adopté dans l’édition de l’Universa Medicina parue chez Wechel en 1574, ont constitué un véritable organon de science médical. L’édition rassemble des traités parus séparément du vivant de Fernel et ayant déjà fait l’objet de plusieurs éditions. Le traité d’étiologie De Abditis Rerum Causis Libri Duo a été publié pour la première fois en 1548, le grand traité systématique, Pathologia et Therapeutices Universalis est paru en 1554, le De Vacuandi Ratione Liber sur l’usage controversé de la saignée, en 1545. Le maître d’œuvre de l’édition de 1574, Guillaume Plancy en rassemblant sous le titre d’Universa Medicina ces divers textes dans leur suite logique les a transformés en un système complet de médecine.Ainsi présentées, les œuvres de Fernel offraient aux nouvelles générations qui étudiaient dans les Facultés, une mise au point des connaissances médicales du temps dans une présentation érudite, claire et systématique. Les libraires, conscients que l’ouvrage répondait au besoin de disposer d’un livre qui puisse servir de référence aux médecins de leur temps n’ont ensuite cessé de publier de nouvelles éditions de l’Universa Medicina. Ces éditions même complétées d’additions et de scholies respectent l’agencement d’ensemble de l’édition de 1574. On en dénombre au moins seize parues entre 1574 et 1679.L’histoire de la publication des œuvres de Fernel exigerait une étude systématique et comparative de ces éditions et des traités séparés. Il est certain que l’édition de 1574 en imposant l’autorité de Fernel a donné lieu à une véritable émulation parmi ses disciples et parmi les libraires qui se sont mis à la recherche de traités restés inédits. Ainsi le traité sur le mal vénérien, Libellus de Luis Venerae Curatione, a été publié par Plantin en 1579. Victor Giselin, son auctor, avait fait des études médicales et travaillait comme correcteur chez Plantin. Giselin avait eu connaissance d’un traité plus ample de Fernel sur le traitement des fièvres qui circulait en manuscrit et dont le Libellus formait seulement une partie. Le texte du traité complet édité par un rival, le médecin Jean Lamy, venait de paraître chez Wechel deux ans auparavant, en 1577, sous le titre de Febrium Curandarum Methodus Generalis. Une seconde édition fut publiée à Genève en 1580 . L’édition anversoise du Libellus contient outre le texte de Fernel dans une version déclarée plus exacte, un court traité par Giselin sur le traitement de la syphilis par le mercure qui développe et à certains égards nuance les conclusions de Fernel. L’édition de l’Universa Medicina d’Utrecht parue en 1656 est, quant à elle, complétée de notes et observations par les médecins Jean et Othon Hernius qui la corrigent.Durant un siècle, l’Universa Medicina, ainsi revue et corrigée a continué à faire autorité, alors même que la philosophie des humeurs sur laquelle elle reposait commençait à être battue en brèche par l’atomisme et le mécanisme. De même, à une époque où la recherche et la controverse en médecine s’intéressaient à des domaines de plus en plus précis notamment en physiologie et en pathologie, les traités de thérapeutique générale de Fernel sont longtemps restés d’actualité, puisqu’une traduction de La Méthode générale de guérir les fièvres paraît en 1655 et une nouvelle traduction de La Thérapeutique ou La Méthode universelle de guérir les maladies en 1668.Comment expliquer qu’en dépit d’observations de plus en plus précises et de l’apparition de nouveaux modèles théoriques, l’œuvre de Fernel ait continué à faire référence durant une bonne partie du dix-septième siècle ? Les scholies et les petits traités nouvellement édités, s’ils complètent et parfois même contredisent les conclusions de l’Universa Medicina, n’ont pas rendu son système caduc. Fernel a conservé son autorité, alors même que l’étude des fonctions progressait et que la circulation sanguine et la fonction du foie notamment étaient reconnues.En premier lieu, plus encore qu’en philosophie naturelle telle qu’elle est enseignée dans les collèges d’humanités et dont les cours traitent séparément de la physica generalis reposant sur Aristote, et de la physica specialis qui rassemble des données concrètes décrites par des virtuosi, en médecine galénique l’enseignement de la Faculté, notamment à Paris, sépare formation théorique et apprentissage pratique. La résistance à l’innovation du paradigme physiologique dominant s’explique aussi par la difficulté qu’il y avait à répéter pour les vérifier des observations faites dans des conditions non rigoureusement contrôlables, sauf en anatomie, et encore. Les débuts d’une réception de la découverte de Harvey datent de la publication en 1639 (dix ans après la première édition) de la seconde édition complète avec gravures de son traité De Motu Cordis, édition à laquelle d’ailleurs sont jointes des réfutations par Primrose et Parisano. Ce n’est qu’après que Leeuwenhoek a pu démontrer en 1678, grâce au microscope, la circulation des globules rouges dans les capillaires que la circulation sanguine a généralement été reçue dans les Facultés. Enfin, la physiologie des humeurs a pu s’accommoder de l’innovation notamment d’ordre thérapeutique, dans la mesure où le mode d’action des spécifiques développés en chimiatrie ne menaçait pas les principes de cette physiologie.En 1679, dans la préface de son Sepulchretum seu anatomia practica, Théodore Bonnet saluait encore en Fernel celui qui avait su réunir les connaissances médicales dans leur intégralité et leur unité. Si les découvertes nouvelles, notamment en anatomie, avaient rendu obsolètes des œuvres médicales qui jouissaient précédemment d’une grande renommée, Fernel, écrivait-il, survivait et restait inébranlable, superstitem et inconcussum. La page de titre d’une édition de l’Universa Medicina parue à Genève en 1628 qualifie Fernel de Princeps Neotericorum. Près d’un siècle après sa mort, alors que la culture humaniste dont son œuvre était nourrie, devenait de plus en plus lointaine, Fernel était même toujours considéré comme un novateur. Rassemblée en système, son œuvre constitue en effet, comme l’a souligné M. Grmek, « une nouvelle synthèse de la médecine scientifique traditionnelle ». L’esprit de synthèse qui préside déjà à la conception du traité De Naturali Parte Medicinae Libri Septem de 1551, trouve son aboutissement le plus achevé dans l’édition de 1574 de l’Universa Medicina. Le De Naturali Parte Medicinae inaugure une nouvelle manière de traiter les connaissances médicales. Il suffit pour s’en convaincre, de comparer la conception du traité de 1574 avec celle de l’ouvrage édité par Henri Estienne et publié à Genève en 1567, sous le titre de Medicae Artis Principes. Ces « principes de l’art médical » ne sont en fait qu’un recueil de sources mises côte à côte.Comme le fit Galien dans l’Antiquité, Fernel ne s’est pas contenté de reprendre la tradition dans une perspective critique, mais il a cherché à en fonder la doctrine et à en tirer un outillage conceptuel qui permette d’apporter des réponses aux problèmes cliniques auxquels la médecine du temps était confrontée. En témoigne la façon dont il procède dans le traité De Occultis Causis. Le point de départ du traité est d’ordre exégétique : Anne quod in morbis esse divinum, divinam opem desidere ?. Que faut-il entendre par cette sentence d’Hippocrate qui a donné lieu à de multiples interprétations ? Le débat entre les trois protagonistes du De Occultis Causis se déroule en deux temps. Dans le Livre I Fernel procède à une exégèse philosophique et philologique, portant principalement sur la Métaphysique d’Aristote (L. I, c. 8), et sur le Timée de Platon (L.I, c. 9). Elle vise à établir la conformité de la pensée des Anciens sur ce point essentiel : la forme est une substance et non pas un accident des êtres naturels. Au livre II, cette ontologie est appliquée aux phénomènes du vivant et notamment à la morbidité. Les propriétés de tout être créé proviennent soit de la matière, c’est à dire des éléments, soit de la combinaison des qualités, soit de la forme, rei cuique genitae, alias a materia, alias a qualitatum temperamento, alias a forma vires inesse . Ce qui est propre aux êtres naturels est une propriété soit de la forme, soit de la substance toute entière, rerum proprietales…vel formae vel totius substantiae proprietates apellari (L.II, c.17), et ne provient pas, comme le voudraient les Méthodistes, des atomes comme l’a cru Démocrite, ni des éléments, comme a pu le penser Hippocrate. Dans le vivant, la forme constitue le principe qui est la source des phénomènes de la vie.Le De Occultis Causis se réclame d’Aristote, mais d’un Aristote interprété à la lumière de Platon et dans une perspective vitaliste. Fernel est conscient que le vivant a sa propre logique, que les principes explicatifs des phénomènes vitaux ne peuvent se ramener à ceux d’une science de la nature qui rendrait compte à la fois de l’inanimé et de l’animé. La démarche de Fernel vise à rendre compte de la singularité des processus physiologiques et des événements pathologiques. Parmi les premiers, Fernel consacre des chapitres importants de sa Physiologia (L.VIII, c.3-8) à la question de la conception. Interpréter les phénomènes de sécrétion ainsi que la conformation des organes de la reproduction pose en effet des problèmes théoriques qui rendent apparentes les limites du modèle explicatif forme -matière lorsqu’il est appliqué au vivant. Si comme pour les plantes, il n’y a qu’une seule semence, quelle est la fonction des sécrétions des muqueuses que l’on connaît chez la femme ? Une seule semence peut-elle porter en elle le germe de l’être individuel, comme le veut Aristote ? Si tel est le cas, que se passe-t-il lorsqu’il y a conception : An semen ipsium, materiam et formam continet ? Est-ce que la forme agit sur sa propre matière ? La semence est-elle animée potentia vel actu ? D’autre part, l’anatomie ne nous apprend-elle pas que l’utérus a un orifice interne (par là est, semble-t-il, désigné l’isthmus) et pas seulement un orifice externe (c’est-à-dire le fornix). La semence n’est pas déposée à l’entrée d’un réceptacle purement passif : l’utérus l’attire de façon à ce qu’elle se loge dans sa cavité supérieure. L’homme et la femme participent donc tous deux à la fécondation. Il faut s’en remettre au jugement d’Hippocrate. La femme produit aussi une semence femelle. Les deux semences ne se développent pas séparément et spontanément et il faut donc qu’intervienne un processus spécifique par lequel se fait l’union des deux semences.Pour rendre compte de ce processus, Fernel fait appel au concept de faculté qu’il emprunte à Galien. La semence de l’homme possède une faculté spécifique qui la dispose à recevoir la vie, de même que la semence de la femme possède celle, elle aussi spécifique, de faire se manifester cette disposition. Cette explication n’est pas purement verbale : elle témoigne comme le suggère Jacques Roger, d’un effort de la part de Fernel pour se dégager de la « gangue logico- métaphysique » dans laquelle la tradition aristotélicienne enferme une certaine pensée du vivant. Pour respecter la tradition, Fernel propose qu’on interprète Aristote comme ayant voulu dire que la semence de l’homme a plus de puissance que celle de la femme. Il est clair que la pensée vitaliste de Fernel bute contre l’horizon épistémologique que constitue l’aristotélisme tel qu’il est compris à l’époque. Néanmoins sa pensée préfigure les concepts biologiques modernes d’ « excitation » ou encore de « prédisposition ».Le même vitalisme appliqué à la spécificité des phénomènes pathologiques qu’il a pu observer, est manifeste dans la façon dont Fernel étudie la morbidité dans le De Occultis Causis. Certaines maladies, les épidémies, affectent toute la substance du corps humain. Elles s’attaquent au principe vital, nativum, divinumque calorem . La cause de la morbidité ne peut être dans ce cas, le désordre humoral qui est localisé dans un organe. Les épidémies se distinguent donc des autres maladies par quelque chose d’occulte, epidemiis morbis occultum quiddam inesse (L. II, 1, c.3) qui leur appartient en propre. Cette cause occulte ne tient pas non plus à l’air : Nihil est in ulla naturae parte quod non in se generis sui contineat. De l’air ne peut que venir de l’air, de même qu’on ne peut tirer de l’or que de l’or, ce qui rend vain d’ailleurs la transmutation des métaux dont rêvent les alchimistes (L.II, 18). Chez Fernel, le concept de cause occulte a une double fonction : il permet de rendre compte des phénomènes physiologiques, mais il a aussi son application clinique. La sémiologie de Fernel est exposée au livre II de la Pathologia. Les maladies ont des causes multiples. On appellera symptôme, symptoma , tout ce qui se signale à nos sens comme une anomalie praeter naturam. Mais tout changement corporel praeter naturam n’indique pas nécessairement une affection : tel est le cas par exemple, de ce que nous appelons le bronzage.
D’autre part, une affection peut donner donne lieu à plusieurs manifestations symptomatiques. Comment alors identifier dans le cas de symptomes multiples, si la maladie est généralisée, si elle affecte toute la substance du corps ? Dans le cas des fièvres notamment dont Fernel traite au livre IV de la Pathologia, le malade ne souffre-t-il pas d’un quelque chose que la fièvre cache ? Il faut découvrir quel symptôme est propre à ce quelque chose :videndum et accurate discernandum … ut proprium ejus symptomata emergat (L. IV, 19). Chez Fernel donc le point de rencontre de la physiologie et de la sémiologie est la clinique. L’art de la clinique est de penser le symptôme comme signe de la cause cachée : Quidquid igitur sensibus nostris obvium, aliud quippiam latens et occultus comitatur, id illius est signum.Les consilia de Fernel montrent comment Fernel raisonne en clinicien. Le consilium XIX traite d’un cas de tabes. Tabes désigne toute maladie de langueur généralisée. Dans la Pathologia (L.V, c.10), Fernel a montré que certains états de langueur résultent de divers affectus du poumon. Mais les symptômes de ces affections à leurs débuts, toux, gêne de la respiration, hémoptysie même, peuvent avoir diverses causes. Il est donc nécessaire de reconnaître les signes qui distinguent la phtisis d’autres affections. Ces signes sont la présence de carbones dans les crachats sputum carbonibus injectum,et les ongles recourbés, le doigt hippocratique ungues in manibus curvantur.Si l’identification de l’espèce particulière de tabes qu’est la phtisis, conduit Fernel dans la Pathologia à débattre des causes possibles du mal, le consilium XIX ne reproduit pas ce débat. Le cas considéré n’est pas traité dans ses dimensions théoriques. Il n’est pas non plus envisagé pour sa représentativité comme chez Hippocrate, ou comme un exemple de « cure admirable » comme chez Cardan. Chez Fernel, le corps du patient est examiné dans sa particularité en tenant compte de la façon dont le patient ressent sa maladie. De façon plus ou moins achevée, les consilia suivent le même modèle rédactionnel : dans un premier temps Fernel restitue l’historia du malade, puis il énumère les symptômes observés et identifie le signe qui détermine le diagnostic ; parfois sont indiqués d’autres signes qui viennent en confirmation de ce diagnostic. Les consilia se présentent donc comme des comptes-rendus du raisonnement qui a conduit à identifier le signe déterminant et aboutit au jugement clinique.La pratique de l’éxégèse humaniste conduit Fernel à voir dans les sympômes une rhétorique de la morbidité dont il revient au médecin de découvrir la topique. Un intérêt pour l’astronomie et le calcul dont témoignent ses deux premières oeuvres parues en 1528, le De Proportionibus et la Cosmotheoria, semblent aussi inspirer sa méthode. Elle tient de celle de l’astronome observant les constellations et le mouvement des planètes. Le médecin observe les multiples symptômes que produit le corps malade. Il cherche à établir quelle logique du vivant a conduit à leur configuration. Cette méthode repose sur l’experimentum au sens où l’entend l’époque : une observation précise de phénomènes déterminés et l’application par analogie à ces phénomènes de déductions tirées d’autres phénomènes observés.La façon dont Fernel se positionne face à la tradition est illustrée par la façon dont dans son Anatomia, il traite de la question cruciale des sites de l’âme, topos majeur de la médecine antique. Le cerveau est au centre de la physiologie de Galien et la distinction qu’il établit entre les diverses facultés de l’âme détermine sa psychologie. Le Livre I de l’Anatomia de Fernel, ou plus précisément le De Partibus Corporis humani Descriptione qui sert de prolégomènes à la Physiologia se présente comme une ennaratio ou le récit d‘un parcours à travers le corps humain. Ce parcours conduit de la surface à l’intérieur du corps et son objet est de montrer comment on peut obtenir une connaissance des parties composées du corps humain, en partant des parties simples. Il faut, peut-on dire, apprendre comment observer avant de procéder à l’observation. Cette ennaratio est suivie d’un guide à la pratique de la dissection.Au chapitre 16, Fernel aborde l’anatomie du cerveau. Il désigne les structures des vaisseaux sanguins qui irriguent l’organe par les termes de contextus, entrelacement, et de nexus,enchaînement. En ce qui concerne le contextus, c’est-à-dire, précise-t-il, ce qui est appelé en grec « choroides », il en fournit une description précise dans laquelle on reconnaît le plexus choroïde. Il situe la seconde structure, le nexus, dans les fosses de l’os occipital. Ce nexus, écrit-il, est à peu près semblable, assimilis, à un rets. Il est clair d’après les descriptions qu’il donne, que Fernel a pratiqué des dissections poussées et qu’il tire profit de celles de Vésale dont la De Humani Corporis Fabrica est parue en 1543. En ce qui concerne le nexus toutefois, le texte ne permet pas de juger quelle conception Fernel se fait précisément de la nature et de la fonction de ce système vasculaire. La prudence de sa comparaison montre que Fernel hésite à se prononcer sur la non-existence d’une rete mirabile chez l’homme, un des points sur lesquels Vésale critique Galien. Mais il faut noter que contrairement à Vésale, Fernel n’aborde pas la question des sites de l’âme lorsqu’il décrit les « ventricules ».
C’est au chapitre 15 du Livre V qu’il traite séparément de la question et ce de façon systématique. En exposant les diverses théories, celle de Galien sur les virtutes du cerveau – imagination, raison, mémoire-, celles des Arabes qui ont tenté de les localiser, Fernel procède à leur critique serrée. Comme l’a montré M.-L. Demonet, cette critique conduit Fernel à distinguer nettement les facultés mentales des principes vitaux. Le siège de l’âme, au sens de principe vital, est le cœur. Il y a une fonctionnalité globale du cerveau. Les facultés, les virtutes, sont les manifestations diverses d’une même activité psychique.De ces analyses on peut conclure en suivant J. Roger, que l’œuvre de Fernel témoigne de l’émergence d’un nouvel esprit scientifique en médecine. L’observation par la vue et le toucher jouent un rôle non négligeable dans sa physiologie. Fernel a décrit le canal de la moelle épinière que n’avait pas observé Vésale : medula spinalis cava est (Physiologia, L. VI c. 13). À propos de la chaleur innée et de sa concentration, il indique qu’en insérant le doigt dans le ventricule du cœur d’un animal on découvre que c’est le point le plus chaud du corps (Physiologia, L.III c.6). Ce nouvel esprit scientifique se traduit aussi par une méthodologie que l’on peut appeler différentielle qui tient compte de la spécificité des phénomènes physiologiques observés. Dépassant le débat entre les trois écoles de pensée médicale, entre Empiriques, Méthodistes et Dogmatistes, débat qui commence d’ailleurs à s’épuiser à l’époque, Fernel se veut à la fois concret dans l’observation et soucieux d’appuyer ses observations sur une théorie qui exprime la logique du vivant.
Cette philosophie médicale et cette méthode ont abouti chez Fernel à un nouveau regard clinique, à la naissance duquel nous assistons dans son œuvre. Pour Fernel, l’objet propre de la science médicale est le corps, non pas en tant qu’architecture, ce qu’il est principalement chez Vésale, mais en tant qu’organisme vivant. L’idée que la vie est un phénomène unique dans la Nature et que l’homme occupe une place spéciale dans la Création anime toute son œuvre. Son vitalisme est associé à un finalisme hérité de Galien, mais repensé dans la perspective de la théologie chrétienne : Fernel ne doute pas que des entités spirituelles comme les démons peuvent avoir une action sur l’être humain. Mais réintroduire le surnaturel dans l’ordre des causes pour rendre compte de certains délires obsessionnels, c’est aussi, nous semble-t-il, entrevoir la spécificité de ce que nous appelons le mental. Au siècle suivant, lorsque les démons disparaissent de l’horizon médical, le vitalisme de Fernel a également fourni un rempart à une pensée biologique confrontée au réductionnisme auquel la conviait le mécanisme cartésien.
L’œuvre de Fernel
Parmi les quelques noms émergeant de la médecine française de la Renaissance, un des plus fréquemment cités est celui de Jean Fernel (1497-1558).
Si l’œuvre de Fernel est à certains égards une anticipation quant à sa forme et à sa présentation, elle n’a pas manqué de renflouer fâcheusement le vieux système scolastique et de lui redonner une vigueur qui retardera d’autant l’évolution de la pensée médicale. Ses nombreux ouvrages ont été publiés simultanément dans toute l’Europe et ont été pendant plus de deux siècles recommandés aux étudiants en médecine.
- Cosmotheoria, 1528, où il indique le moyen de mesurer avec exactitude un degré de méridien ;
- De naturali parte medicins, 1542 (c’est un traité de physiologie) ;
- Universa medicina, 1567, ouvrage capital, qui a eu plus de 30 éditions ;
- Thierapeutics umversalis libri septem, 1571 ;
- Feirium curandarum methodus generalis, 1577.
Jean Fernel est mort le 26 avril 1558 à Fontainebleau ou à Paris. A l’époque des humanistes, Jean Fernel fut l’un des plus grands médecins d’Europe, digne successeur de Galien et d’Hippocrate.
Jean François Fernel Médecin français qui, au cours de sa carrière historique en médecine et en physiologie, a introduit la dissection dans la pratique clinique. Il a inventé les termes « physiologie » et « pathologie », et a été le premier à décrire l’appendicite, le péristaltisme, la systole et la diastole du cœur, l’endocardite, et la première description du canal rachidien. Il a écrit des textes de médecine générale et des ouvrages sur la guérison de la syphilis et des fièvres.Jean François Fernel (1497-1558)Médecin français qui, au cours de sa carrière historique en médecine et en physiologie, a introduit la dissection dans la pratique clinique. Il a inventé les termes « physiologie » et « pathologie » et a été le premier à décrire l’appendicite, le péristaltisme, la systole et la diastole du cœur, l’endocardite et la première description du canal rachidien. Il a écrit des textes de médecine générale et des ouvrages de guérison de la syphilis et des fièvres.
https://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/fernel_j.htm