Pourquoi la Russie a-t-elle vendu l’Alaska aux États-Unis ?Alors que la Russie terminait son expansion vers l’est à travers la Sibérie, le pays traversait inévitablement le détroit de Béring et établissait une présence dans le nord des Amériques. Ce territoire, colonisé pour la première fois au début du XVIIe siècle, était connu sous le nom d’Alaska, mais très peu de Russes s’y sont installés.La Russie a été endommagée militairement par sa défaite dans la guerre de Crimée, au cours de laquelle la Grande-Bretagne et son alliée la France ont vaincu l’Empire. Le tsar russe Alexandre II a commencé à chercher des moyens de vendre l’Alaska à l’Amérique, d’autant plus que le territoire serait impossible à défendre si la Grande-Bretagne décidait de l’attaquer. (La Grande-Bretagne détenait le Canada comme une colonie au moment de la vente.)Après la fin de la guerre civile américaine, des négociations ont commencé sur la vente de l’Alaska à l’Amérique, bien que l’opinion dans les deux pays soit contre l’accord. Beaucoup de Russes ne voulaient pas céder un territoire où de l’or avait été découvert, et les Américains ne voulaient pas d’une « glacière » où très peu de gens vivaient.Le 30 mars 1867, les deux pays se sont mis d’accord sur une somme purement symbolique de 7,2 millions de dollars (109 millions de dollars en 2018), soit environ 2 cents l’acre. L’Amérique avait acheté 586 412 milles carrés (1 518 800 km2) de territoire. L’Alaska ne sera admis en tant qu’État dans l’Union qu’en 1959 et restera peu peuplé jusqu’à la ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle.
En 1867, les Etats-Unis ont acheté à l’Empire russe l’ensemble de ses territoires nord-américains, qui constituent aujourd’hui l’Alaska. Après avoir proposé un prix de 5 millions de dollars, Washington a fini par accepter de payer 7,2 millions de dollars, soit 180 millions de fois le prix d’un exemplaire du New York Times en ce temps.Ce montant est équivalent à 120 millions de dollars d’aujourd’hui, soit 80 millions de fois le prix actuel du grand quotidien new-yorkais. Cette transaction pour un montant qui paraît rétrospectivement dérisoire s’explique par le contexte géopolitique de l’époque. Au cours de la guerre de Crimée, dont la Russie est sortie vaincue par la France et le Royaume-Uni en 1856, le tsar Alexandre II a pris conscience que ses possessions en Amérique du Nord auraient été indéfendables si la Royal Navy avait décidé de s’en emparer. Tout juste monté sur le trône et animé d’un esprit réformiste et pragmatique, le jeune empereur décide de se séparer de ce territoire réputé pauvre en ressources naturelles, peu peuplé et difficile à protéger.La logique géographique voudrait que l’Alaska soit cédé au Canada, alors encore colonie britannique. Mais Alexandre ne souhaite pas traiter avec son ancien ennemi de la guerre de Crimée. C’est donc vers les Etats-Unis qu’il se tourne. La guerre de Sécession (1861-1865) retarde les discussions. Une fois la paix revenue, elles peuvent s’engager.Le gouvernement américain, irrité par l’attitude anglaise parfois favorable aux Etats du Sud pendant la guerre civile, ne souhaite pas voir le Royaume-Uni étendre son influence en Amérique du Nord. Il accueille favorablement le projet du tsar et l’encourage même. A Washington, le Secrétaire d’Etat Steward s’enthousiasme pour cette acquisition. Il est soutenu par les pêcheurs américains de baleines qui craignent de voir leur activité freinée si l’Alaska revient au Canada. Mais, au Congrès, beaucoup s’interrogent sur l’intérêt d’acheter un territoire de 1,6 million de km2, difficilement accessible, non contigu et tout juste peuplé de 10 000 habitants.
La vente est cependant conclue le 30 mars 1867, puis ratifiée en 1868 après une longue bataille parlementaire. Pendant trente ans, les Américains penseront avoir fait une mauvaise affaire. Mais la découverte de mines d’or dans les dernières années du XIXe siècle puis de riches ressources en hydrocarbures au cours du siècle suivant change la donne. Aujourd’hui, l’Alaska compte 730 000 habitants et assure 17% de la production pétrolière américaine. Cette réussite a encouragé les Etats-Unis à poursuivre leur politique d’acquisition de territoires. Après avoir acheté, dans la mer des Caraïbes, les îles Vierges au Danemark en 1917, Washington a suggéré secrètement à Copenhague, en 1946, de lui vendre le Groenland pour 100 millions de dollars de l’époque, soit 1,2 milliard de dollars d’aujourd’hui. Dix fois le prix de l’Alaska !
L’Alaska avant la venteAu 19e siècle, l’Alaska russe était un centre de commerce international. Dans sa capitale, Novo-Arkhangelsk (actuelle « Sitka »), on commercialisait des étoffes chinoises, du thé et même de la glace dont le Sud-américain avait besoin avant l’invention des réfrigérateurs. On y construisait des navires et des usines, on y produisait du charbon. On connaissait ses nombreux gisements d’or. Vendre cela ressemblait à de la folie. Lire aussi : Vrai ou faux : l’Alaska a-t-il été loué aux Américains pour 99 ans ? L’Alaska attira les marchands russes par les défenses de morses (aussi précieuses que l’ivoire) et la fourrure précieuse de loutre de mer, troquée par les indigènes. C’était le métier de la Compagnie russe d’Amérique (CRA), fondée par des têtes brulées – des entrepreneurs russes du 18e siècle, des voyageurs et hommes d’affaires intrépides. La société était propriétaire de toutes les productions et matières premières en Alaska, elle pouvait signer des contrats commerciaux avec d’autres pays, avait son propre drapeau et sa monnaie – des « marks » de cuir. Ces privilèges furent accordés à la société par le gouvernement tsariste qui non seulement lui imposait d’importants impôts, mais y possédait également sa part – des tsars et des membres de leurs familles figuraient parmi les actionnaires de la CRA.Le Pissarro russeLe « régent en chef » des colonies russes en Amérique était le talentueux marchand Alexandre Baranov. Il bâtit des écoles et des usines, apprit aux indigènes à planter des navets et des pommes de terre. Il érigea des forts et des chantiers navals et élargit la pêche aux loutres de mer. Baranov s’appelait le « Pissarro russe », et son attachement à l’Alaska ne se limitait pas au porte-monnaie : il épousa la fille d’un chef Aléoute. Lire aussi : L’incroyable histoire de l’unique (et éphémère) colonie russe en Afrique Sous la direction de Baranov, la CRA engrangeait des revenus conséquents : plus de 1000% de bénéfice! Lorsque Baranov, très âgé, se retira des affaires, il fut remplacé par le capitaine-lieutenant Hagemeister qui amena de nouveaux collaborateurs et actionnaires des milieux militaires. Désormais, les statuts de la Compagnie n’autorisaient sa gérance que par des officiers de la Marine. Les militaires s’emparèrent rapidement de cette entreprise lucrative, mais ce sont bien eux qui conduisirent la compagnie à la faillite.Vil métalLes nouveaux propriétaires s’accordèrent des rémunérations astronomiques – 1 500 roubles par an (l’équivalent du salaire des ministres et des sénateurs) pour de simples officiers, 150 000 roubles pour le dirigeant. Les prix d’achat de la fourrure auprès de la population locale furent divisés par deux. Aussi, au cours des 20 années suivantes, les Esquimaux et les Aléoutes tuèrent presque toutes les loutres de mer, privant l’Alaska de son industrie la plus lucrative. Les indigènes vivaient dans la misère et se rebellaient ; les rebellions étaient écrasées par les Russes qui mitraillaient les villages côtiers depuis les navires militaires.
Les officiers cherchèrent de nouvelles sources de revenus. Ainsi fut lancé le commerce de glace et de thé – les piètres entrepreneurs ne furent pas capables de l’organiser correctement, mais ne songèrent pas à réduire leurs salaires. Finalement, la RCA bénéficia d’une subvention publique de 200 000 roubles par an. Mais même cela ne put la sauver.La guerre de Crimée éclata, la Russie affrontait l’Angleterre, la France et la Turquie. La Russie ne pouvait plus se permettre de financer ni de défendre l’Alaska – les voies maritimes étaient contrôlées par les navires des alliés. Même la perspective de lancer l’extraction de l’or devint peu probable. La Russie craignait que l’Angleterre ennemie ne bloque l’Alaska, auquel cas, la Russie perdrait tout. Alors que la tension entre Moscou et Londres était à son comble, les relations avec les autorités américaines étaient très amicales. Les deux parties songèrent à la vente de l’Alaska presque simultanément. Aussi, le baron Edouard de Stoeckl, chargé d’affaires à l’ambassade de Russie à Washington, fut missionné par le tsar pour conduire les négociations avec le secrétaire d’État américain William Seward.Le drapeau russe refuse de descendrePendant que les fonctionnaires négociaient, l’opinion publique s’élevait contre la transaction. « Comment pouvons-nous vendre ces terres après tant de temps et d’effort consacrés à leur développement, terres où nous avons installé le télégraphe et ouvert des mines d’or ? » écrivaient les journaux russes. « Quelle utilité peut avoir ce « coffre de glace » avec ses 50 000 Esquimaux sauvages qui boivent de l’huile de poisson au petit-déjeuner ? » s’indignait la presse américaine, mais aussi le Sénat et le Congrès s’opposaient à cette acquisition. Néanmoins, le 30 mars 1867, l’accord de vente des 1,5 million d’hectares des propriétés russes en Amérique fut signé à Washington pour 7 200 000 dollars – une somme purement symbolique. Même les terres épuisées de la Sibérie ne se vendaient pas à un si vil prix. Mais la situation était critique – on risquait ne rien en tirer du tout.Le transfert officiel des terres eut lieu à Novo-Arkhangelsk. Les troupes russes et américaines s’alignèrent devant le mat où, sous les salves, on commença à baisser le drapeau russe. Le drapeau s’emmêla tout en haut du mat. Le matelot qui monta récupérer le drapeau le jeta à terre, celui-ci tomba malencontreusement sur les baïonnettes russes. Mauvais signe ! Ensuite, les Américains entamèrent la réquisition des bâtiments de la ville, rebaptisée Sitka. Plusieurs centaines de Russes refusant la nationalité américaine durent partir à bord de navires commerciaux et ne rentrer chez eux que l’année suivante.
Très peu de temps après, des rivières d’or se mirent à couler de ce « coffre de glace » : la ruée vers l’or du Klondike commença en Alaska, elle apporta des centaines de millions de dollars aux États-Unis. C’est malheureux, bien entendu. Mais qui sait quelles auraient pu être les relations entre les principales puissances mondiales si la Russie ne s’était pas débarrassée de cette région problématique et déficitaire dont seuls les marchands doués et courageux, et certainement pas les bureaucrates de la marine, étaient capables de tirer des profits.
https://home.kpmg/fr/fr/home/insights/2019/10/decryptages-alaska-acquisition.html
https://fr.rbth.com/art/2014/05/05/pourquoi_la_russie_vendit_lalaska_aux_etats-unis_28971