Le soulèvement qui a balayé l’Algérie colonisée avait une dimension nationaleDepuis le début de l’ère de la colonisation française, d’innombrables révoltes secouent l’Algérie. L’un des plus importants, dirigé par Cheikh El Mokrani, s’étendait sur les trois quarts du pays avant sa mort sanglante.La liberté est le plus contagieuse des désirs ; toujours, le soulèvement d’un peuple attise ailleurs le feu de la révolte – et la Commune est contemporaine d’une insurrection qui aurait pu stopper l’entreprise coloniale française en Algérie (le soulèvement qui a balayé l’Algérie colonisée au moment même où la République universelle était proclamée à Paris.). En mars 1871, en raison de l’instabilité provoquée par la défaite de Sedan et du vent d’insurrection qui s’est emparé de Paris, de l’autre côté de la Méditerranée, en Kabylie, les confédérations tribales vont déclencher une véritable guerre contre l’occupant. L’insurrection, la plus importante par son ampleur et son dénouement (tragique) depuis le début de la conquête en 1830, est menée par un chef énigmatique et redouté, Cheikh El Mokrani, de son vrai nom Mohand Aït Mokrane.
Un grand seigneur de l’épéeFils d’un chef coutumier de Medjana [centre-nord], sur les hauts plateaux, El Mokrani, né en 1815, n’a pas toujours incarné un esprit de rébellion contre les envahisseurs français. Sa famille refusa, même en 1830, de se rassembler sous la bannière de l’émir Abd El Kader. L’historiographie coloniale dresse le portrait d’El Mokrani en « grand seigneur d’épée » doté d’une « bravoure chevaleresque », reconnu pour avoir été « maître de toutes les terres avoisinant le territoire de sa tribu », tel que la France cherchait initialement, sinon son soutien, du moins sa neutralité. Pourtant, la barbarie des conquérants, l’arbitraire et l’injustice de l’ordre colonial ont mis à rude épreuve ce pacte tacite de non-agression. Bien que maîtrisée en 1857 après quatorze campagnes militaires successives – entraînant des destructions d’une brutalité inhabituelle – la Kabylie n’avait pas,De la pauvreté, la rébellionDe nombreuses révoltes s’étaient déjà produites en réaction à l’humiliation, à la confiscation des terres, au déplacement des populations, au démantèlement de la structure sociale : surtout, à la misère à laquelle la population était réduite, avec les famines, notamment la grande famine de 1857, alimentant la rébellion. Pourtant « les révoltes étaient finies, jusqu’à ce que la guerre contre la Prusse réveille chez les indigènes l’idée d’indépendance », écrit Just-Jean Étienne Roy dans son Histoire de l’Algérie de 1880. « De plus (poursuivait Roy), nous n’avions plus d’armée en Afrique, car il en fallait tant pour imposer le respect. L’occasion était donc trop favorable pour que ces populations n’en aient pas profité ; des populations qui n’ont toujours soutenu notre domination qu’avec impatience, et qui ne se sont jamais soumises que pour reconstituer leurs forces, en attendant de se relever.Une armée de 10 000
𝐋𝐀 𝐑𝐄́𝐕𝐎𝐋𝐓𝐄 𝐃𝐄 𝟏𝟖𝟕𝟏
Aussi appelé l'insurrection kabyle de 1871, ou en kabyle Unfaq urrumi, est la plus importante insurrection contre les forces coloniales depuis le début de leur conquête de l'Algérie en 1830
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— Histoire Kabyle ⵣ (@HistoireKabyle) January 15, 2021
Au cours de l’année précédente, une clameur s’était élevée dans les communautés villageoises. Malgré l’interdiction formelle des autorités coloniales, des tijmaain, ou assemblées villageoises, ont été élus. Le 12 juin 1869, le maréchal MacMahon alerte Paris : « Les Kabyles resteront tranquilles tant qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays ! C’est El Mokrani, à la tête d’une armée de 10 000 hommes, qui donna le 15 mars 1871 le signal de l’insurrection, qui montra pour la première fois sa force spectaculaire le 8 avril avec l’appel au soulèvement du vieux cheikh Aheddad, chef spirituel de la confédération Rahmaniya – celle à laquelle 250 tribus ont répondu, rassemblant des dizaines de milliers de combattants. L’insurrection s’est propagée comme une traînée de poudre à l’est et au sud du pays, à travers la côte, atteignant les habitants de Constantine.
À l’ouest, les insurgés s’approcheraient des portes mêmes d’Alger – même si l’écrasement de la Commune de Paris prouverait la perte des insurgés algériens. Le peuple de Paris massacré, l’autorité militaire se libère les mains pour reconstituer une puissante armée africaine : l’amiral Gueydon mobilise 100 000 soldats et une machine militaire supérieure même à celle qui a forcé la soumission de la Kabylie en 1857.
Tué, déporté, enrôlé de forceLe 5 mai, El Mokrani a été tué, et avec sa mort l’esprit d’insurrection a été brisé. Elle se poursuivit cependant au cours des neuf mois suivants, tout comme sa répression impitoyable. Toute la population est visée et plusieurs dizaines de milliers d’insurgés sont tués. Des villages entiers ont été détruits, des familles décimées ou jetées dans l’errance. La rébellion écrasée, 450 000 hectares de terres sont confisqués et distribués aux nouveaux colons venus d’Alsace-Lorraine. En 1873, plus de 200 chefs insurgés sont jugés devant le tribunal de Constantine et condamnés à la déportation vers les bagnes de Cayenne ou de Nouvelle-Calédonie, où ils rencontreront des Communards. « Nous les avons vus arriver dans les grands burnous blancs [manteaux maghrébins] », écrit Louise Michel dans ses mémoires. « Les Arabes, déportés pour s’être soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux (…) étaient simples et bons, avec un grand sens de la justice ; ils n’ont rien compris à notre comportement envers eux.Certains des hommes qui avaient pris part à l’insurrection ont été enrôlés de force dans la campagne de Madagascar. Au nom de la « responsabilité collective des tribus insurgées », la Kabylie est frappée d’une réparation de 36 millions de francs-or. Blessées, meurtries, les communautés villageoises avaient vécu un terrible drame dont le souvenir allait se transmettre – par la littérature et la poésie orale – de génération en génération.2,5 millions d’hectares confisqués L’insurrection, de par son ampleur, a été contrée par une répression féroce de la part de l’armée coloniale. «Il a fallu plus de 20 colonnes militaires pour venir à bout de ce soulèvement de 1871. L’Armée d’Afrique a mis en branle des contingents estimés à 90 000 hommes commandés par 20 généraux et officiers supérieurs», fait savoir l’orateur. «Les mesures de séquestre collectif sont de l’ordre de 2,5 millions d’hectares», soit la «superficie de 5 départements», selon Charles Robert Ageron, cité par l’historien. Les autorités coloniales ont procédé, par ailleurs, à la «confiscation de 80 000 fusils». En outre, «des amendes collectives ont été infligées aux populations insurgées. Elles s’élevaient à 36 millions de francs or».La répression de l’insurrection a donné lieu également à des procès retentissants. Les tribunaux qui ont siégé relevaient de juridictions militaires et civiles. Les audiences ont tenu l’opinion en haleine dans plusieurs villes : Batna, Souk Ahras, Touggourt, Blida, Alger. «Et il y a évidemment eu le procès le plus important, le procès des ‘‘chefs de l’insurrection de 1871‘‘. C’est ainsi que la justice française l’a qualifié. Ce procès s’est tenu de mars à septembre 1873, à Constantine, où on a jugé et condamné pas moins de 213 insurgés.» Le Dr Hachi indique que parmi les prévenus, il y a avait «15 ou 16 Mokrani» et «trois Ben El Haddad : le Cheikh Aheddad et ses deux fils, M’hamed et Aziz».
Les fils du chef de la Rahmaniya «ont été condamnés à la déportation en Nouvelle Calédonie». Le Cheikh Aheddad, lui, trouvera la mort à la prison de Constantine le 29 avril 1873. Pour le reste, il y a eu des dizaines de condamnations à des peines d’emprisonnement, à des déportations à vie ainsi qu’à des peines de mort.
Au cours du débat qui a suivi la conférence, nombre d’intervenants ont souligné la filiation entre l’insurrection de 1871 ainsi que les autres maillons de la «chaîne libératrice», selon le mot de l’historien, et la Révolution de 1954.«Depuis le 5 juillet 1830, le combat ne s’est jamais arrêté, appuie Idir Hachi. Il a été porté de 1932 à 1947 par l’Emir Abdelkader, il s’est poursuivi également avec Ahmed Bey à l’Est, avec les Zaâtacha et la révolte de Cheikh Bouziane en 1849, avec la révolte de la Dahra en 1845 sous la férule des Boubaghla, Boumaâza, Bouaoud ; avec le combat de Lalla Fadhma N’Soumer, avec les Ouled Sidi Cheikh de 1864 à 1870… Si bien que l’on peut dire, notamment au XIXe siècle, que dès qu’un feu s’éteignait quelque part, il y en avait un autre qui s’allumait ailleurs.»En mars 1871, le Constantinois et la majeure partie de la Kabylie se soulèvent sous la houlette du bachaga Mokrani, fervent admirateur de Napoléon III. Au mois d’avril, 100 000 combattants affrontent les Français. L’enthousiasme est immense : il faudra neuf mois pour en venir à bout et son sanglant écrasement.Un aperçu historique
1832-1837 Abd El Kader s’élève contre l’occupation coloniale française, ce qui aboutit au traité de la Tafna.
1848 Après la reddition d’Abd El Kader, l’Algérie est officiellement proclamée « territoire français ».
1850-1870 Révoltes dans les Aurès et en Kabylie, réprimées dans le sang. La famine ravage l’Algérie.
Mars-avril 1871 L’insurrection kabyle conduite par El Mokrani et cheikh Aheddad s’étend aux régions voisines.
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