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9 mars 1916 – L’Angleterre et la France se mettent d’accord pour démanteler l’empire ottoman

Comment le puissant Empire ottoman s’est effondré avec fracasRedrawing the map of the Middle East | CBC RadioLes accords Sykes-Picot et le partage du Moyen-Orient : une cicatrice dans le sableAucune description de photo disponible.Le 16 décembre 1915, au cœur de Londres. Dans une pièce du 10, Downing Street, la résidence du Premier ministre, les plus hauts responsables politiques du Royaume-Uni sont réunis en conseil de guerre. Aux côtés du chef du gouvernement Herbert Henry Asquith, il y a lord Kitchener, secrétaire d’État à la Guerre, David Lloyd George, ministre de l’Armement, ou encore Arthur James Balfour, lord de l’Amirauté.Histoire du Moyen-Orient #7 - La chute de l'Empire Ottoman - YouTube

Mark Sykes, un spécialiste du Moyen-Orient  Aucune description de photo disponible.Au programme du jour : la « question d’Orient ». Ou comment préparer le « dépeçage » de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale et son partage avec la France, la grande puissance coloniale rivale. Pour en parler, Asquith a convoqué un jeune aristocrate de 36 ans, Mark Sykes. Le jeune député du Yorkshire, un moustachu à l’œil rieur, est aussi conseiller du gouvernement pour les affaires moyen-orientales. Face aux ministres, l’homme déroule la carte qu’il a amenée avec lui, et présente son projet de partition de la région. undefinedL’idéal, estime-t-il, serait de tracer une ligne «depuis le E d’Acre [sur la côte méditerranéenne] jusqu’au dernier K de Kirkouk [au nord de l’Irak]». La partie nord au-dessus de cette ligne, soit à peu près la Syrie et le Liban actuels, plus une partie de la Turquie, serait sous l’autorité des Français. La partie sud, aujourd’hui la Jordanie, l’Irak, le Koweït, sous celle du Royaume-Uni. Une telle solution, pense Sykes, permettrait de garder la mainmise sur la péninsule arabique, une voie de passage vers l’Inde, bastion essentiel de l’Empire britannique.Chute de l'Empire ottoman : l'Allemagne, cet allié fatal - Geo.frL’exposé de Mark Sykes est écouté avec intérêt par les éminences du gouvernement. Car Sykes passe pour un spécialiste du Moyen-Orient. Il y voyage depuis longtemps : dès ses 11 ans, en 1890, il a découvert l’Egypte, Jérusalem et le Liban avec son père Sir Tatton et sa mère Lady Jessica, 30 ans plus jeune que son mari. Il y est retourné ensuite comme étudiant, puis attaché honoraire de l’ambassade de Constantinople en 1905-1906, et enfin comme simple voyageur, explorant Damas, Mossoul, Alep Mark Sykes est fasciné par cette région qui comble ses désirs d’aventure, au point d’y consacrer plusieurs livres, dont The Caliph’s Last Heritage : a Short History of the Turkish Empire, en 1915, qui achève de forger sa réputation d’expert. Pas sûr, en revanche, qu’il en saisisse toute la complexité et les mutations en cours, au point de pouvoir en dessiner les frontières ! Aucune description de photo disponible.L’idée de partage que le jeune baronnet (son titre aristocratique) propose ce jour-là est surtout destinée à contenter la France et la Grande-Bretagne. Cette « ligne dans le sable » n’en aura pas moins une grande postérité : elle servira de base, quelques semaines plus tard, à l’accord Sykes-Picot entre les deux pays. Qui, en pleine Première Guerre mondiale, dans le plus grand secret et au terme de stratagèmes diplomatiques, allait fixer jusqu’à aujourd’hui une partie des frontières du Moyen-Orient.

L’Empire ottoman, un royaume amputé  Aucune description de photo disponible.Lorsque la Grande Guerre éclate, cela fait déjà longtemps que la question du partage de l’Empire ottoman préoccupe les diplomates à Paris et à Londres. Depuis la fin du XIXe siècle, le royaume des sultans est l’homme malade de l’Europe, miné par la banqueroute, les pertes de territoires et les revers diplomatiques. A la veille du conflit, après la perte de la Libye et des Balkans, il ne comprend plus que la Turquie et une partie du Moyen-Orient arabe (aujourd’hui Syrie, Irak, Liban, Jordanie, Koweït, ouest de l’Arabie Saoudite…).

Lundi 19 novembre 2018 – Le mot du jour d'Alain

L’Empire ottoman, allié à l’Allemagne  Why did Britain take over the Ottoman Empire's colonies after ...La France et la Grande-Bretagne ont avancé leurs pions. La première a investi en masse, notamment dans les chemins de fer, et a racheté une large part de sa dette souveraine. Elle jouit aussi d’un certain prestige, comme gardienne historique des chrétiens de l’empire, surtout dans la zone libano-syrienne. La seconde, outre divers liens économiques et militaires, a pris le contrôle autour de 1880 de l’Egypte et du canal de Suez, jusque-là sous domination ottomane, afin de maîtriser la route des Indes. Elles ne sont pas les seules : l’Allemagne de Guillaume II, elle aussi, s’est beaucoup rapprochée de la Sublime Porte dans les années d’avant-guerre. Au moment où éclate le conflit, c’est avec elle que choisissent de s’allier les nationalistes Jeunes-Turcs arrivés au pouvoir à Constantinople en 1908. Pour les Français et les Anglais, l’Empire ottoman est désormais dans le camp ennemi – et son partage peut d’autant plus être planifié sans scrupule.Dès 1915, les diplomaties s’activent pour défendre leurs intérêts futurs dans la régionThe Collapse of the Ottoman Empire - OwlcationLes Anglais ont un souci majeur : sécuriser le canal de Suez, et notamment sa rive orientale, qui se trouve en contact, par-delà le Sinaï, avec l’Empire ottoman. S’y ajoutent d’autres desiderata définis par la Commission sur la Turquie asiatique (ou Commission de Bunsen) installée en avril 1915 par le Premier ministre Asquith et dont fait partie Mark Sykes : la maîtrise du golfe Persique, la sécurisation des intérêts britanniques dans l’exploitation encore débutante du pétrole…  Localement, les Anglais ont une stratégie  : appuyer le mouvement nationaliste arabe et son désir d’émancipation vis-à-vis de l’Empire ottoman. Londres veut ainsi faire des Arabes des alliés contre Constantinople, et éviter qu’ils ne répondent à l’appel au djihad contre les pays de l’Entente lancé en 1914 par le sultan (qui a encore, à cette époque, le titre de calife de l’islam et de gardien de ses villes saintes). A plus long terme, l’idée est aussi de s’assurer la présence d’un Etat arabe vassal dans cette zone stratégique. Et d’éviter que les Arabes ne se soulèvent… contre la présence anglaise dans le delta du Nil. Fin 1914, des négociations sont entamées avec Hussein, le chérif de La Mecque (de la dynastie hachémite, qui règne aujourd’hui sur la Jordanie), censé devenir le leader du futur État.

Chute de l'Empire ottoman : l'Allemagne, cet allié fatal - Geo.fr

Ces tractations sont discrètes. Car il ne s’agirait pas de froisser l’allié français, qui convoite lui aussi la région, notamment la Syrie – et qui n’apprécierait guère d’apprendre que les Anglais agissent ainsi dans leur dos. Plus de quinze ans après la crise de Fachoda (l’accrochage entre Français et Anglais en 1898 au Soudan, qui faillit dégénérer en conflit), la question coloniale reste sensible entre les deux puissances. Elles ont certes signé en 1904 l’Entente cordiale, afin de régler leurs différends, mais cette poignée de mains forcée n’a pas mis fin aux rancœurs et aux soupçons. Fin 1912, alertée par les séjours de hauts fonctionnaires britanniques dans la région, Paris somme ainsi le gouvernement de Londres de confirmer qu’il n’a pas de vues sur sa chasse gardée syrienne. Les Anglais s’exécutent… et se font à nouveau tancer lorsqu’ils projettent, en 1915, d’attaquer les Ottomans à Alexandrette, près d’Alep. Le plan se limite finalement à un débarquement à Gallipoli, en mer Egée (la bataille des Dardanelles), qui se solde par un échec cuisant. Entre la défense de leurs intérêts et la nécessaire conciliation avec Paris, les Britanniques avancent donc sur un fil.

16 mai 1916 : l'accord "Sykes-Picot" | lhistoire.frFrançois Georges-Picot représente la France pour la « question d’Orient »  Hezbollah targets Israeli troops on Lebanon border | Hezbollah News | Al JazeeraCôté français, le Quai d’Orsay s’active aussi pour imposer ses vues. L’un des hommes clés, à Paris, s’appelle François Georges-Picot. Ce diplomate à la haute stature et à la voix perchée, consul de France à Beyrouth avant la guerre, connaît bien le Moyen-Orient. Il est aussi membre du Comité de l’Asie française, un lobby qui se bat pour la revendication de la France sur la Syrie et défend une ligne dure face à l’Angleterre. Le diplômé en droit de 45 ans fait pression sur le ministre des Affaires étrangères Théophile Delcassé – qui accorde lui-même peu d’importance au sujet – pour qu’il mette à l’agenda la « question d’Orient » et les négociations avec Londres sur les futures frontières de la région. Lorsque celles-ci s’ouvrent enfin, fin 1915, c’est lui qui est envoyé outre-Manche comme représentant de la France. Pour le ministre des Affaires étrangères anglais, Edward Grey, la priorité est à ce stade de trouver un accord avec Paris. Quitte à maintenir dans le flou le chérif Hussein, dont les revendications territoriales au Moyen-Orient recoupent en partie celles des Français.16 mai 1916 - Accord secret Sykes-Picot - Herodote.netDès janvier 1916, l’accord Sykes-Picot est concluSykes-Picot : Cent ans après – Le Jeune IndépendantLes pourparlers, en novembre-décembre 1915, sont tendus : Georges-Picot agace les Anglais par son intransigeance. L’homme exige le maximum, car il sait que ses interlocuteurs sont en position de faiblesse : la Grande-Bretagne paie à ce moment-là un moindre tribut humain que la France dans la guerre contre l’Allemagne. Le 21 décembre, après l’échec d’une deuxième réunion, le chef de la délégation britannique, Sir Arthur Nicolson, se tourne vers Mark Sykes, qui a présenté quelques jours plus tôt son projet au 10, Downing Street. Sykes et Georges-Picot se rencontrent dès le jour même, à Londres. Et le projet du premier, avec sa ligne de division d’Acre à Kirkouk, permet de trouver un terrain d’entente. Notamment, explique le journaliste britannique James Barr dans son livre Une ligne dans le sable (éd. Perrin/ministère de la Défense, 2017), car il néglige l’émergence du nationalisme arabe : « Picot, qui lui avait saisi la menace [de ce nationalisme] pour les ambitions impériales de son pays, fut heureux de s’accorder avec une proposition qui n’en tenait aucun compte. »

Dans chacun des deux périmètres, français au nord et anglais au sud, le plan prévoit une « zone de contrôle direct » (Liban, côte syrienne et une partie de la Turquie pour la France, région de Bagdad et Bassora pour la Grande-Bretagne) et une « zone d’influence », c’est-à-dire un Etat arabe sous tutelle. Dans la négociation, Sykes cède à Picot Mossoul et le Liban, en échange d’un accès à la mer à Haïfa. Les deux hommes échouent à s’accorder sur la Palestine, qui devient « zone internationale ». Dès janvier, l’accord Sykes-Picot est conclu. Il le sera formellement en mai, suite à un échange entre Edward Grey et l’ambassadeur de France Paul Cambon, et avec l’aval de la Russie, la troisième puissance de la Triple-Entente.

Très vite, l’accord est attaqué Les accords Sykes-Picot : Le projet de division du monde arabe | Montréal ArabicLes accords Sykes-Picot : Le projet de division du monde arabe

Signé en pleine guerre, alors que fait rage à l’ouest la bataille de Verdun, le marchandage franco-anglais est d’abord tenu secret. Il est aussi vu comme provisoire, surtout par les Anglais, peu satisfaits du résultat. Un signe ne trompe pas : si François Georges-Picot signe la carte de l’accord à l’encre noire, Mark Sykes, lui, préfère… un crayon de bois. Très vite, l’accord est attaqué. A Londres, certains lui reprochent en particulier le statut de la Palestine, qu’ils voudraient voir dans le giron de Sa Majesté. Est alors activée une idée qui fait son chemin depuis quelques temps : le soutien au sionisme, qui permettrait la création d’un Etat juif loyal à la Grande-Bretagne dans cette zone cruciale. En novembre 1917, la déclaration Balfour (une lettre ouverte du secrétariat d’Etat des Affaires étrangères et du Commonwealth en faveur du sionisme) officialise cette position. Une autre attaque en règle vient du président américain Wilson, pourfendeur de l’impérialisme européen, qui est informé de l’accord début 1917. Un an plus tard, dans ses célèbres « 14 points » (son programme de paix pour l’Europe), on trouve en numéro 12 « l’autonomie » des peuples non turcs de l’Empire ottoman – pas vraiment ce que prévoit l’accord Sykes-Picot. Enfin, il y a les Arabes eux-mêmes : l’accord leur réserve une zone « sous influence », placée sous tutelle britannique… On est loin des avances faites au chérif Hussein par les Anglais qui lui avaient promis un royaume indépendant !Treaty of Sèvres - Wikipedia9 mai 1916 : La Grande-Bretagne et la France découpent l’Empire ottoman

La Grande Guerre au Moyen-Orient - l'Empire ottoman et la révolte arabe ( 1916-1918) - MilkipressMi-1916, sans avoir connaissance de l’accord, Hussein lance la révolte arabe contre les Ottomans, appuyé par l’officier de liaison britannique Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d’Arabie, qui se bat aux côtés de Fayçal, l’un des fils d’Hussein. Pour Lawrence, la présence des Français en Syrie est encore pire que celle des Ottomans. Même une fois informé de l’accord Sykes-Picot, il poussera les Arabes à prendre Damas, à l’automne 1918, dans l’espoir de le rendre caduc par le fait accompli.  Contre toute attente – y compris de Mark Sykes lui-même, qui en 1918 l’estime « mort et enterré » –, l’arrangement survit toutefois à la guerre. Il sert encore de toile de fond, en 1918-1919, aux âpres pourparlers entre les chefs de gouvernement français et anglais, Georges Clemenceau et David Lloyd George, destinés à préparer la Conférence de la paix, sous l’œil de l’Américain Wilson. Lloyd George arrache à Clemenceau Mossoul et son pétrole (dans lequel les Français obtiennent néanmoins une participation), ainsi que la Palestine. Les Français, eux, s’accrochent à l’accord de 1916 et à leur présence ancienne dans la région pour réclamer la Syrie. Londres s’y oppose d’abord, désireux d’imposer son hégémonie au Moyen-Orient, mais finit par lâcher du lest. En septembre 1919, Lloyd George annonce le retrait des troupes anglaises de Syrie.The Ottoman Empire in 1683 : r/imaginarymapsL’accord Sykes-Picot n’est donc pas appliqué tel quel, mais avec des adaptations, géographiques et administratives. La gouvernance des puissances occidentales s’exerce finalement sous la forme de « mandats » confiés par la toute jeune Société des Nations, censés déboucher à terme sur une indépendance. Exit dans l’immédiat l’idée d’un État arabe sous tutelle. A la Conférence de San Remo en avril 1920, préalable au traité de Sèvres qui démantèle l’Empire ottoman, la Grande-Bretagne reçoit deux mandats, en Palestine et en Mésopotamie (actuel Irak), et la France un, en Syrie (comprenant aussi le Liban). Au milieu, la ligne tracée par Mark Sykes, qui reste aujourd’hui l’une des inépuisables sources de conflits au Moyen-Orient : le statut de Jérusalem et de la Palestine par exemple, ou encore la volonté de Daech de créer un califat et d’en finir avec les frontières définies par cet accord. Ottoman Empire Acquisitions-vektorgrafik och fler bilder på Ottomanska imperiet - Ottomanska imperiet, Karta, Krig - iStock

https://www.geo.fr/histoire/les-accords-sykes-picot-et-le-partage-du-moyen-orient-une-cicatrice-dans-le-sable-201215

https://www.history.com/this-day-in-history/britain-and-france-conclude-sykes-picot-agreement

https://www.mentalfloss.com/article/79736/wwi-centennial-britain-france-slice-ottoman-empire

https://www.britannica.com/event/Sykes-Picot-Agreement

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