Wilfred Thesiger, Gentleman barbare Explorateur paradoxal que ce Wilfred Thesiger (1910-2003). Fils de diplomate, né à Addis-Abeba, il aurait pu incarner toutes les valeurs surannées des élites britanniques impérialistes. Pourtant — et c’est ce qui fait l’intérêt de cette biographie —, l’homme ne se pose jamais en juge moral des peuples et de leurs coutumes. Au contraire, il admire tous ceux qui se montrent rebelles à l’autorité coloniale et place sur un piédestal les nomades d’un désert « vierge de toute souillure »…Thesiger abhorre la modernité, le progrès technique, et met un point d’honneur à partager les conditions de vie de ceux qu’il étudie. Afin de voyager sans entraves, il renoncera à toute attache sentimentale, quitte à faire jaser à Londres. Il sera l’un des premiers étrangers à parcourir le pays afar éthiopien, le sud de la péninsule arabique (ce qui inspirera son meilleur livre, Le Désert des déserts), la région des marais en Irak… Pendant la seconde guerre mondiale, il fera partie des Scorpions du désert, les commandos alliés qui harcelaient l’Afrikakorps. Ce qui ajoutera à sa légende et fera de lui une source d’inspiration autant pour Ian Fleming que pour Hugo Pratt. Né à Addis-Abeba en 1910, Wilfred Thesiger rejoint l’Angleterre à l’âge de 10 ans pour étudier avec la haute société britannique à Eton puis Oxford. Mais l’Europe lui déplait et à la première occasion (le couronnement de Sélassié en l’occurrence) il repart en Afrique. Il a alors 24 ans et entame une vie d’aventurier des déserts, proche des peuples nomades. Pendant dix mois, il peut porter la djellaba, boire un cocktail d’eau saumâtre et de pisse de chameau, grignoter une poignée de dattes véreuses, abattre un lion pour rendre service… Et réintégrer, l’espace de quelques semaines, son costume de gentleman à melon et parapluie, capable de se tordre le nez au-dessus d’une tasse d’Earl Grey trop infusée.Après avoir quitté Oxford, Thesiger est revenu à une vie d’aventure. De 1934 à 1939, il a servi dans le service politique soudanais et a été affecté dans la région du Darfour. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Thesiger a combattu avec les troupes éthiopiennes et britanniques contre l’occupation italienne en Éthiopie, et il a reçu l’Ordre du service distingué pour son rôle dans la capture du fort italien d’Agibar en 1941.
Il s’est ensuite rendu au Caire, où il a été intronisé au British Special Operations Executive. Après deux ans de combat contre les Français de Vichy en Syrie, il a été transféré au Special Air Service nouvellement formé et a participé à des raids derrière les lignes allemandes et italiennes en Afrique du Nord.En novembre 1945, Thesiger entreprit une traversée de deux mois du Rubʿ al-Khali (quartier vide) dans la péninsule arabique, le plus grand désert de sable du monde, accompagné de guides nomades bédouins. L’expédition était à la demande de l’unité antiacridienne britannique au Moyen-Orient, et le but officiel était de rechercher des sources d’infestations de criquets, mais le désir de Thesiger de vivre parmi les Bédouins et son attirance pour les difficultés du voyage dans le désert l’ont maintenu dans le zone pendant encore quatre ans après l’achèvement de la tâche. Thesiger s’est limité aux moyens de déplacement disponibles pour les Bédouins, effectuant des voyages difficiles et dangereux à dos de chameau avec un minimum de nourriture et d’eau.Après avoir quitté la péninsule arabique en 1950, Thesiger s’est rendu en Irak, où il a passé la majeure partie de sept ans à vivre parmi les habitants des marais du sud. Il s’est immergé dans la tribu Maʿdān, devenant le premier Européen à mener une observation détaillée de la vie quotidienne dans les marais. Pendant son séjour, Thesiger – qui emportait avec lui des médicaments occidentaux et soignait souvent les maux et les blessures des populations locales – est devenu un adepte de la circoncision, une compétence très appréciée qui lui a permis de visiter des villages de la région. Il a estimé avoir effectué la procédure plus de 6 000 fois avant de quitter l’Irak en 1958.
Après l’Irak, Thesiger a continué à voyager, visitant l’Iran et l’Afghanistan et servant en 1966 en tant que conseiller des forces royalistes dans la guerre civile yéménite (1962-1970). En 1980, il s’installe à Maralal, une petite ville du Kenya. La mort de deux de ses compagnons kenyans et sa santé dégradée l’ont conduit à rentrer en Angleterre en 1994.
Parmi les écrits notables de Thesiger figurent Arabian Sands (1959), une description de ses voyages à travers le Rubʿ al-Khali ; The Marsh Arabs (1964), qui raconte ses années de vie parmi les Maʿdān ; et The Life of My Choice (1987), une autobiographie. La collection de Thesiger de plus de 38 000 photographies prises au cours de ses voyages a été donnée au Pitt Rivers Museum d’Oxford en 2004.
Wilfred Thesiger est un caméléon, à l’aise dans tous les mondes. Mais il ne faut pas s’y tromper : les paysages ne l’intéressent guère. Ce sont les hommes qui l’aiguillonnent. Fiers bédouins du désert, guerriers soudanais nus comme des vers, pasteurs abyssins en peaux de bêtes, imprévisibles nomades afghans, Arabes amphibies de Mésopotamie…
C’est à eux qu’il a consacré sa vie, explorant les terres interdites de l’Afrique et de l’Asie, pour sauver de l’oubli le monde barbare et splendide des nomades qu’il admire tant. Thesiger fut le « dernier explorateur du XXe siècle ». Sa vie d’aventure le rend admirable. Et admirer Thesiger, c’est admirer le monde.
Wilfred Patrick Thesiger était un explorateur et écrivain britannique né à Addis-Abeba, en Éthiopie. Thesiger est surtout connu pour deux livres de voyage, Arabian Sands, qui raconte ses voyages en Arabie et décrit le mode de vie en voie de disparition des Bédouins ; et The Marsh Arabs (1964), un récit des Madan, un peuple indigène du sud de l’Irak. Thesiger a pris de nombreuses photographies au cours de ses voyages et a fait don de sa vaste collection de 23 000 négatifs au Pitt Rivers Museum d’Oxford.
Bibliographie
Le Désert des déserts, Plon, 1978, Les Arabes des marais, Plon, 1983, Visions d’un nomade, Plon, 1987
Dans les montagnes d’Asie, Carnets d’Abyssinie, 1996, La vie que j’ai choisie, 1987
https://www.mara.om/fr/expositions/trois-vues-d-oman/photographes/wilfried-thesiger/
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/04/GOUVERNEUR/58587