Aylan Kurdi, un réfugié syrien de 3 ou 4 ans, se noie au large de la Turquie, sa mort et sa photographie suscitent une réaction internationaleLe 2 septembre 2015, sur une plage turque proche de Bodrum, une photographe fixe sur la pellicule l’image d’un enfant de quatre ans rejeté par la mer.
Des images choquantes d’un garçon syrien noyé montrent le sort tragique des réfugiés
Un jeune garçon retrouvé allongé face contre terre sur une plage près de la station balnéaire turque de Bodrum était l’un des 12 Syriens qui se sont noyés en tentant d’atteindre la GrèceL’horreur de la tragédie humaine qui se déroule sur les côtes de l’Europe a été ramenée à la maison mercredi alors que les images du corps sans vie d’un jeune garçon – l’un des 12 Syriens au moins qui se sont noyés en tentant d’atteindre l’île grecque de Kos – résument les risques extraordinaires les réfugiés prennent pour gagner l’ouest.La photo, prise mercredi matin, montrait le tout-petit aux cheveux noirs, vêtu d’un t-shirt et d’un short rouge vif, échoué sur une plage, allongé face contre terre dans les vagues, non loin de la station balnéaire à la mode de Bodrum en Turquie.Une deuxième image représente un policier au visage sinistre emportant le petit corps. En quelques heures, elle était devenue virale, devenant la photo la plus tendance sur Twitter sous le hashtag #KiyiyaVuranInsanlik (humanité échouée). Les médias turcs ont identifié le garçon comme étant Alan Kurdi, âgé de trois ans, et ont rapporté que son frère de cinq ans avait également connu une mort similaire. Tous deux seraient originaires de la ville de Kobani, dans le nord de la Syrie, théâtre de violents combats entre les insurgés de l’État islamique et les forces kurdes plus tôt cette année. Justin Forsyth, PDG de Save the Children, a déclaré : « Cette image tragique d’un petit garçon qui a perdu la vie en fuyant la Syrie est choquante et rappelle les dangers que courent les enfants et les familles à la recherche d’une vie meilleure. Le sort de cet enfant devrait concentrer les esprits et forcer l’UE à s’unir et à convenir d’un plan pour faire face à la crise des réfugiés. Les autorités grecques, confrontées à ce qui est devenu la plus grande crise migratoire de mémoire d’homme, ont déclaré que le garçon faisait partie d’un groupe de réfugiés fuyant l’État islamique en Syrie.Des responsables turcs, corroborant les informations, ont déclaré que 12 personnes sont mortes après que deux bateaux transportant un total de 23 personnes ont chaviré après être partis séparément de la région d’Akyarlar dans la péninsule de Bodrum. Parmi les morts se trouvaient cinq enfants et une femme. Sept autres ont été secourus et deux ont atteint le rivage dans des gilets de sauvetage, mais les espoirs de sauver les deux personnes toujours portées disparues s’estompaient.
Les victimes faisaient partie de milliers de personnes, pour la plupart des Syriens, fuyant la guerre et l’occupation brutale par les fondamentalistes islamiques dans leur patrie.Kos, face à la côte égéenne de la Turquie, est devenue un pôle d’attraction pour les personnes déterminées à rejoindre l’Europe. On estime à 2 500 le nombre de réfugiés, également originaires de Syrie, qui ont débarqué à Lesbos mercredi dans ce que les autorités locales ont décrit comme plus de 60 canots pneumatiques et autres navires « non navigables ». Quelque 15 000 réfugiés sont à Lesbos en attente de passage par bateau de croisière vers le port du Pirée à Athènes avant de poursuivre leur voyage vers le nord jusqu’en Macédoine et à travers la Serbie jusqu’en Hongrie et en Allemagne.« La situation sur les îles est dramatique en termes d’afflux massifs, de manque d’abris et de conditions d’hygiène qui ne cessent de se détériorer », a déclaré au Guardian Ketty Kehayioy, porte-parole du HCR à Athènes. « L’absence de personnel pour effectuer les enregistrements crée d’énormes goulots d’étranglement sur Lesvos et Kos, ce qui aggrave encore les conditions inférieures aux normes, conditions elles-mêmes aggravées par des installations très limitées. » Les ONG locales et les volontaires, travaillant 24 heures sur 24 pour soutenir les services publics insuffisants maintenant poussés au point de rupture, ont décrit la situation comme « totalement écrasante ». Les morts de mercredi faisaient partie d’un sinistre bilan de quelque 2 500 personnes décédées cet été en tentant de traverser la Méditerranée vers l’Europe, selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR. Le gouvernement intérimaire d’Athènes, au pouvoir jusqu’à la tenue des élections du 20 septembre, a annoncé des mesures d’urgence pour faciliter la circulation après s’être réuni en session d’urgence sous le Premier ministre, Vassiliki Thanou.Le ministre de la migration, Yiannis Mouzalas, a déclaré que les mesures viseraient à améliorer les conditions à la fois pour les réfugiés et les résidents sur des îles telles que Kos et Lesbos. Les conditions sur les îles sont devenues de plus en plus chaotiques, les responsables locaux exprimant leurs craintes quant à l’apparition de maladies dans un contexte de montée de la misère. « Le problème est très grand », a déclaré Mouzalas, un médecin qui est également membre de l’organisation d’aide Médecins du monde. « Si l’Union européenne n’intervient pas rapidement pour absorber les populations… si la question n’est pas internationalisée au niveau de l’ONU, nous discuterons de temps en temps de la manière d’éviter la crise », a-t-il déclaré aux journalistes, insistant sur le fait que les milliers de personnes qui risquent leur vie pour fuir le conflit étaient des réfugiés. « Il n’y a pas de problème de migration, supprimez-le – c’est un problème de réfugiés », a-t-il déclaré. Le HCR calcule que quelque 205 000 réfugiés à destination de l’Europe sont entrés en Grèce, principalement via ses îles périphériques de la mer Égée, cette année seulement. La grande majorité (69 %) sont des Syriens, des Afghans (18 %), des Irakiens et des Somaliens fuyant le conflit dans leur pays.Dans la capitale hongroise, pendant ce temps, où les autorités ont inversé leur position et ont décidé d’empêcher les migrants de se rendre en Allemagne et dans d’autres pays de l’ouest de l’UE, des centaines ont continué à manifester à la gare de Keleti. Les tensions ont augmenté tout au long de la journée alors que le nombre d’hommes principalement jeunes gonflait à plus de 2 000.Alors que la police bloquait leur chemin vers la principale gare internationale de Budapest, la foule scandait : « Pas de police ! Pas de police ! Et « Allemagne ! Allemagne ! » Les passions ont également éclaté à la frontière entre la Hongrie et la Serbie lorsque des manifestants nationalistes de droite ont marché vers l’endroit où les migrants empruntent une voie ferrée pour entrer dans le pays. La police a formé des cercles de protection autour des migrants effrayés alors que les manifestants leur criaient des injures. « Nous devons rétablir la loi et l’ordre aux frontières de l’Union européenne, y compris à la frontière avec la Serbie », a déclaré le porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltan Kovacs. « Sans rétablir l’ordre public, il sera impossible de gérer l’afflux de migrants. » Il a déclaré que le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, apporterait un « message clair et évident » lors d’une réunion à Bruxelles jeudi avec les chefs de l’UE sur la crise migratoire.
Esthétique de l’horreur La photo, d’une troublante beauté esthétique, nous rappelle Le dormeur du Val (octobre 1870), poème par lequel Arthur Rimbaud oppose la sérénité de la jeunesse à l’horreur de la guerre, en l’occurrence la guerre franco-prussienne :
C’est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.Quand l’urgence compassionnelle dénature l’engagement politique
L’image d’Aylan a fait la Une de tous les médias occidentaux, symbolisant à elle seule le drame que vivent des millions d’Orientaux, chassés par la guerre civile et en quête d’un avenir radieux en Europe ou en Amérique.L’opinion publique s’est mobilisée en bloc. Elle s’est indignée de l’égoïsme des gouvernements occidentaux et a multiplié les collectes en faveur des réfugiés. La chancelière allemande s’est vue momentanément confirmée dans son choix du mois précédent d’accueillir tous les réfugiés « politiques » qui se présenteraient aux portes de son pays. Ont été gommées du même coup les victimes de la barbarie islamiste : les chrétiens crucifiés, les filles yézidis vendues comme esclaves à Mossoul sans compter quelques milliers d’enfants comme Aylan tués sous les bombes. Il est vrai que les uns et les autres n’ont pas trouvé au bout de leur calvaire une photographe inspirée et des médias réactifs. Entendons-nous bien, toutes les morts d’enfants sont un scandale, celle du petit Aylan… comme celles des centaines de jeunes Français anonymes massacrés chaque année par des chauffards. S’il y a une différence entre elles, c’est que la première est un risque calculé qu’ont librement assumé les parents du petit Syrien. Un risque qui se quantifie : 1,5 pour mille. C’est le pourcentage de décès parmi les migrants illégaux qui franchissent la Méditerranée. Un risque somme toute « rationnel ». Il se compare par exemple au risque que prenaient les Français au début des années 1970 en montant en voiture : 16 000 décès et 200 000 blessures handicapantes par an, c’était pour chaque génération de 800 000 Français un risque mortel de 2 pour mille et un risque de blessure handicapante de 250 pour mille.
Cette analyse froide doit évidemment heurter quiconque s’en tient à la lecture de la presse, laquelle va au plus facile et au plus profitable en privilégiant l’émotion et les trémolos au détriment de la réflexion et de l’analyse. Elle est toutefois indispensable si l’on veut prendre la mesure exacte du drame migratoire et le gérer comme il convient, non par une politique compassionnelle qui l’amplifie et l’aggrave mais par une politique de fermeté qui seule peut le réduire en incitant les migrants à se prendre en charge au plus près de leur patrie (note).Photo d’Aylan à l’appui, l’urgence de l’accueil des réfugiés a pris le pas sur la nécessité d’abattre l’hydre islamiste. Celle-ci est désormais perçue comme une fatalité dont il faut s’accommoder tout comme du dictateur inconnu qui règne depuis vingt ans en Érythrée en toute impunité et pousse vers les rivages de l’Europe des centaines de milliers de pauvres hères.
Peu importe que la grande majorité des migrants soient des jeunes hommes en bonne santé, originaires soit de camps de réfugiés (Turquie), soit de pays en guerre (Syrie, Afghanistan), soit de vilaines dictatures (Érythrée), soit plus simplement de pays pauvres (Niger, Sénégal…). Peu importe qu’ils aient voulu échapper au devoir de résister à l’oppression ou de travailler au développement de leur pays. Peu importe que le propre père du petit Aylan ait pu revenir dans sa ville de Kobané, en Syrie, preuve que sa fuite périlleuse relevait d’un choix plus que d’une obligation !
L’avenir dira ce qu’il en coûte aux peuples européens lorsque leurs dirigeants préfèrent la politique compassionnelle à la Realpolitik et se servent de la photo d’un enfant pour occulter leur impuissance face à la montée de la guerre, dans une Europe happée par le chaos moyen-oriental et africain.
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