Robert Oppenheimer : les incertitudes d’un physicien et d’un humanisteLe scientifique américain Robert Oppenheimer (1904-1967), créateur de la bombe à l’uranium qui a pulvérisé Hiroshima le 6 août 1945, s’est éteint le 18 février 1967. Quelques mois plus tôt, il démissionnait de son poste à Princeton afin de « trouver un sens à la fois historique et philosophique à ce que les sciences ont apporté à la vie humaine ».Le 16 juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique, avait lieu la première explosion atomique jamais provoquée par l’homme. C’était l’aboutissement des travaux menés, à la demande du gouvernement américain, par une équipe de savants, pour la plupart émigrés d’Europe. Un homme avait dirigé ces travaux et organisé la première cité atomique à Los Alamos : Julius-Robert Oppenheimer. Quelques semaines plus tard, une bombe atomique était larguée au-dessus d’Hiroshima. Oppenheimer s’était déclaré favorable à cette « opération militaire » d’un type si nouveau et si effroyable qu’elle marque l’avènement de la grande peur des hommes.Mais ce n’est pas tant à ce travail qu’à ses prises de positions ultérieures sur l’utilisation des armes de destruction massive qu’il doit sa renommée. Pour beaucoup, il symbolisait le savant aux prises avec les conséquences de sa découverte. Son « problème de conscience » comme ses démêlés avec le maccarthysme étaient devenus les thèmes de nombreux livres et même d’œuvres théâtrales. Oppenheimer s’accommodait d’ailleurs fort bien de ce rôle de symbole vivant. Il passa les dernières années de sa vie plus en philosophe qu’en chercheur scientifique, au point de démissionner en juin dernier du poste de directeur de l’Institut des études supérieures de l’université de Princeton pour « chercher à comprendre ce que les sciences avaient apporté à la vie humaine sur les plans historique et philosophique ». Oppenheimer avait de nombreux amis à Paris. Le professeur Auger, actuellement directeur général de l’Organisation de recherche spatiale E.S.R.O., le tenait en grande estime. Les deux hommes se connaissaient depuis 1939, avant même qu’Oppenheimer n’aille s’installer à Los-Alamos pour diriger les travaux sur la bombe atomique. M. Pierre Auger a bien voulu présenter à nos lecteurs celui qui fut à ses yeux un « homme complet ».On rencontre parmi les scientifiques, comme dans tous les ensembles d’hommes rapprochés par les circonstances, des êtres exceptionnels par leur rayonnement, par leur influence directe et en quelque sorte naturelle, des « olympiens », pour employer un terme à la mode. Robert Oppenheimer était l’un de ces hommes que l’on ne peut oublier, tant il avait le pouvoir d’établir immédiatement un lien spirituel avec ceux auxquels il s’adressait, de faire comprendre ses idées, qu’il s’agisse de physique théorique, de problèmes sociaux, de morale, ou de directives de travail. Pour ses amis, ses collaborateurs, et même pour ceux qui ne le connaissaient que par une rencontre, une conférence – ou encore par un simple passage à la télévision, comme ce fut le cas pour le public américain, – il représentait un homme exceptionnel.
Vidéo : Robert Oppenheimer – La science et le bon sens (1964)
Un génie qui s’est déclaré dès son enfanceJulius Robert Oppenheimer est né le 22 avril 1904 à New York. Il est le fils de Julius S. Oppenheimer, un riche importateur de textiles juif ayant immigré d’Allemagne aux États-Unis, et d’Ella Friedman, une artiste peintre. La famille Oppenheimer faisait notamment partie de l’Ethical Culture Society, une association du judaïsme réformiste américain fondé et dirigé à l’époque par le Dr Felix Adler. Le Dr Adler a également fondé l’Ethical Culture Society School, et c’est dans cette école que Robert Oppenheimer a effectué sa scolarité durant son enfance. Déjà à cette époque, ses prouesses académiques étaient évidentes. À l’âge de 10 ans, Oppenheimer étudiait des matières complexes comme la minéralogie, la physique et la chimie. D’ailleurs, il a eu l’opportunité d’effectuer une correspondance avec le New York Mineralogical Club. Le club a su identifier le potentiel du jeune Oppenheimer et l’a invité à donner une conférence alors que ce dernier n’avait que douze ans.En 1939, Oppenheimer et son élève, Hartland Snyder, ont prédit l’existence des trous noirsAprès ses études secondaires, Oppenheimer est entré à l’université Harvard avec un an de retard en raison d’une attaque de colite. Au cours de cette année sabbatique essentiellement consacrée à son rétablissement, il a voyagé avec un professeur de littérature à la retraite, Herbert Smith, au Nouveau-Mexique. De retour après son voyage, il a donc commencé ses études en chimie à Harvard. Bien qu’il ait excellé dans ce domaine, ainsi que dans de nombreuses autres matières imposées par le cursus universitaire, Oppenheimer s’est découvert une passion pour la physique durant ses études à Harvard. C’est en poursuivant cette passion qu’il a finalement intégré l’université de Cambridge où il a commencé ses recherches en atomique au laboratoire Cavendish en 1925. À Cavendish, Oppenheimer a eu l’occasion de collaborer avec la communauté scientifique britannique dans ses efforts pour faire avancer la cause de la recherche atomique. C’est également là-bas qu’il a rencontré le physicien théoricien Max Born. C’est avec Born qu’Oppenheimer a d’ailleurs écrit l’approximation de Born-Oppenheimer. Ce dernier a invité Oppenheimer à l’université de Göttingen, où il a rencontré d’autres physiciens renommés et où, en 1927, il a obtenu son doctorat. Par la suite, il est rentré aux États-Unis en 1929 pour enseigner la physique à l’université de Californie à Berkeley et au California Institute of Technology. C’est également à cette même époque qu’Oppenheimer a commencé à s’intéresser de près à la politique.Robert Oppenheimer et le projet ManhattanLe projet Manhattan était le nom de code d’un projet de recherche mené pendant la Seconde Guerre mondiale par les États-Unis avec l’assistance partielle du Royaume-Uni et du Canada. L’objectif final du projet était le développement de la première bombe atomique. Le projet a notamment été initié par le président Roosevelt après qu’Albert Einstein et Leo Szilard ont découvert que les nazis étaient en phase de développer une arme nucléaire. Oppenheimer fut alors choisi pour administrer le laboratoire de recherche chargé de mener à bien le projet.
Oppenheimer s’est opposé à la création de la bombe à Hydrogène et le gouvernement Américaine l’a accusé de trahison.Oppenheimer a ainsi mené ses recherches dans le Manhattan Engineering District, situé dans ce qui est désormais connu comme étant le laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique. Après un travail acharné et près de cinq années de recherches, la première bombe nucléaire a explosé le 16 juillet 1945 avec une puissance d’environ 18 000 tonnes de TNT, à la base aérienne d’Alamogordo, dans le sud du Nouveau-Mexique. Dans la même année, deux bombes atomiques ont été larguées sur le Japon, mettant presque immédiatement fin à la guerre. Si la guerre était finie, les pertes ont été très lourdes, et plus de 120 000 personnes ont péri à cause des bombes atomiques. Conscient des ravages causés par son invention, Oppenheimer a rendu visite au président Harry S. Truman pour lui parler de la nécessité de la mise en place de contrôles internationaux des armes nucléaires, et ce en tant que membre de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis. Truman, inquiet de la perspective du développement du nucléaire soviétique, a renvoyé Oppenheimer, mettant ainsi fin à sa participation aux projets nucléaires du pays.
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— Hundred History (@HundredHistory) January 27, 2024
La vie d’Oppenheimer après la guerre
À la suite de son éviction politique, Oppenheimer devient directeur de l’Institute of Advanced Study de Princeton, où il continue de travailler dans le domaine de la physique, principalement comme enseignant. Oppenheimer a ainsi poursuivi ses recherches et a apporté d’importantes contributions aux théories modernes des électrons, de la fusion nucléaire, des tunnels quantiques et des trous noirs. Si Oppenheimer s’est fait rejeter par le gouvernement américain, il a eu le soutien de la communauté scientifique. Cette dernière a d’ailleurs vivement critiqué Edward Teller, qui a témoigné contre Oppenheimer lors de l’audience de jugement traitant du fait qu’Oppenheimer ait été accusé de sympathie communiste. Malgré le soutien de ses pairs, Oppenheimer a cependant choisi de se tenir éloigné de la politique.Oppenheimer a été mis en nomination trois fois pour le prix Nobel de physique, en 1945, 1951 et 1967, mais ne l’a jamais gagnéQuoi qu’il en soit, en 1963, le président John F. Kennedy a reconnu l’importance de la participation d’Oppenheimer à la science. De fait, le président Kennedy lui a attribué le prix Enrico Fermi en 1963 pour ses contributions à la physique théorique. Suite à cela, Robert Oppenheimer a continué à soutenir le contrôle international de l’énergie atomique. Au cours de ses dernières années de vie, il a également donné des conférences partout dans le monde. Avec Albert Einstein, Bertrand Russell et Joseph Rotblat, il fonda l’Académie mondiale des arts et des sciences en 1960.Livre : La réhabilitation du «destructeur des mondes» Robert OppenheimerLouisa Hall fait le portrait de Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique, à travers des témoignages fictifs.«Quel mal y a-t-il à vouloir juger Oppenheimer pour ses trahisons ?» Surnommé «le père de la bombe atomique», le physicien américain Robert Oppenheimer (1904-1967) était le directeur scientifique du projet Manhattan dont furent issues les premières bombes atomiques élaborées dans le laboratoire de Los Alamos, au Nouveau-Mexique. Les 6 et 9 août 1945, des bombes étaient larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Elles causèrent la mort de plus de 200 000 personnes, alors que la guerre était presque terminée et que l’Allemagne avait capitulé. Robert Oppenheimer avait donc des raisons de comparaître devant des juges ; lui-même estimait avoir du sang sur les mains : «Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes.» Il a prononcé ces phrases après l’essai qui eut lieu, à sa demande, le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique. «Trinity» est le nom duquel il avait baptisé cet essai. C’est aussi le titre que donne l’Américaine Louisa Hall à son roman, un portrait composite et post-mortem de Robert Oppenheimer. Elle l’établit à partir des témoignages fictifs de sept personnes qui auraient approché le scientifique : un détective privé, sa secrétaire au temps où il dirigeait l’Institue for Advanced Study de Princeton, une journaliste, etc.«Auditions de sécurité»Cette forme discontinue, kaléidoscopique, chaotique, semblable au feu que libère une bombe, dessine un Oppenheimer in progress. L’architecture du roman fait aussi écho au procès officieux auquel dut se soumettre Robert Oppenheimer : en avril 1954, son opposition à l’élaboration de la bombe à hydrogène, sa préférence pour la transparence des essais nucléaires et son ancienne proximité avec des membres du Parti communiste lui valurent trois semaines d’«auditions de sécurité» de la part de la Commission à l’énergie atomique des États-Unis. L’Amérique maccarthyste le soupçonnait d’être un espion à la solde des Soviétiques. Son habilitation au secret-défense fut révoquée. Cet épisode a vivement affecté Robert Oppenheimer. Par une addition de témoignages dont il n’est jamais précisé quelle autorité les exige, si ce n’est celle de l’auteure, Trinity déroule une sorte de procès en appel, qui conduit à la réhabilitation de Robert Oppenheimer.
Qui était-il ? Le fils doué d’un juif allemand et d’une Américaine prospères et cultivés. Robert Oppenheimer aimait écouter Bach et collectionnait les minéraux. A 17 ans, guéri de la tuberculose, il quitte New York pour passer sa convalescence au Nouveau-Mexique, dans le désert de la Jornada del muerto. Ce paysage lui plaît. Lorsqu’il y retourne pour développer la bombe, il s’y déplace à bord d’une vieille Jeep et en jean. Il porte le même chapeau que celui de Robert De Niro dans Mean Streets et avance comme «suspendu à une ficelle». Trinity parsème ces informations biographiques à petites doses dans chaque témoignage. Elles se mêlent au récit de la propre vie du témoin. Pour tous, le quotidien n’est que chaos. Certains sont plus intéressants que d’autres, mais la grande qualité de l’ensemble permet de passer outre quelques faiblesses.
«Frêle, et abattu»En 1943, Oppenheimer est engagé pour le projet Manhattan. Sa surveillance par le FBI commence au même moment. Il est la star du laboratoire. Un jour, il quitte la base pour rendre visite à sa maîtresse, Jean Tatlock, qui habite à San Francisco. Trinity s’ouvre par le récit de cette fugue imprudente observée par un détective privé. Six mois plus tard, Tatlock, psychiatre et communiste, se suicide. Le dernier chapitre, le meilleur, est celui dans lequel Louisa Hall prend le plus de recul et de hauteur. Elle y fait parler une journaliste qui rencontre Oppenheimer en 1966, quelques semaines avant qu’il ne meure d’un cancer.
Il est «frêle, et abattu». La femme se montre d’abord persifleuse. Oppenheimer a tout de même fabriqué la bombe A et accusé devant la Commission atomique son ancien étudiant allemand, Bernard Peters, d’être un sympathisant communiste. Puis la journaliste s’adoucit, elle note la «patience mélancolique» d’Oppenheimer et réalise que «lui aussi vivait dans ce même monde incertain, il y avait toujours vécu, y compris quand il mettait au point ces armes, pensant avoir le contrôle de leurs destinées, ne sachant pas encore qu’il ne lui appartiendrait pas de décider où et quand l’armée s’en servirait […] pour quelle raison et dans quel but.» Elle ajoute : «Une histoire comporte toujours des trous desquels elle tire sa force.» Louisa Hall ne vise pas la béatification d’Oppenheimer, mais en dérogeant à la mode de l’inquisition, elle plaide pour une présomption de complexité. Elle se comporte en écrivain.
J. Robert Oppenheimer (1904-1967)
Julius Robert Oppenheimer était un physicien théoricien américain et administrateur scientifique, connu comme directeur du laboratoire Los Alamos lors du développement de la bombe atomique (1943-45) et comme directeur de l’Institute for Advanced Study, Princeton (1947-66). Des accusations quant à sa loyauté et sa fiabilité en tant que risque pour la sécurité ont conduit à une audience gouvernementale qui a entraîné la perte de son habilitation de sécurité et de sa position de conseiller aux plus hauts échelons du gouvernement américain. L’affaire est devenue une cause célèbre dans le monde de la science en raison de ses implications concernant les questions politiques et morales liées au rôle des scientifiques dans le gouvernement.
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