Attentat révolutionnaire à Moscou – Le meurtre du grand-duc Serge Alexandrovitch de RussieLe Grand-Duc Serge, oncle du Tsar, et commandant en chef de la circonscription militaire de Moscou, vient de mourir dans des circonstances agitations qui rappellent l’assassinat de son père, le Tsar Alexandre II. C’est à Moscou, près du Palais de Justice, entre le Musée Historique et le Kremlin, que ce produisit l’attentat. Au moment où la voiture du Grand-Duc quittait le Musée Historique, un traîneau, dans lequel se trouvaient deux hommes en civil, alla se placer au-devant. Près du Palais de Justice, le traîneau se laissa dépasser. A ce moment, la bombe fut jetée sous la voiture. L’explosion fut si violente que toutes les vitres des fenêtres du Palais de Justice furent brisées. Sous les débris de la voiture, réduite en miettes, on ramassa le corps du Grand-Duc, déchiqueté, la tête séparée du tronc. Le Grand-Duc Serge n’était pas du type puissant qui se retrouve chez quelques-uns des Romanov : c’était une nature frêle et mélancolique. Son visage allongé et pâle portait le signe d’une tristesse originelle qui le marquait d’avance du sceau de la fatalité. A Moscou, il avait exaspéré la jeunesse des écoles par des mesures rigoureuses dont le général Trepof avait été l’inflexible exécuteur. Persuadé que tout le danger politique venait des jeunes gens des universités, le Grand-Duc Serge avait ordonné des arrestations en masse suivies de nombreux exils en Sibérie. Il s’était également aliéné, par son caractère autoritaire et cassant, les sympathies de la bourgeoisie moscovite. On savait, en outre, que dans les conseils du Tsar, le Grand-Duc Serge représentait avec une grande autorité le parti antilibéral, et l’on affirmait que toutes les mesures réactionnaires de Nicolas II avaient été conseillées et soutenues par lui. Bref, dans l’opinion des révolutionnaires, le Grand-Duc Serge était l’homme fatal, l’ennemi tout-puissant qui, par son influence auprès de l’empereur, retardait l’avènement des libertés qu’ils souhaitaient. Dès le début de Février le comité révolutionnaire « L’organisation de combat », l’avait condamné. Et la sentence a été exécutée impitoyablement par l’abominable moyen si souvent employé en Russie : l’assassinat.
Le meurtre du grand-duc Serge et la FranceVendredi 17 février 1905, à Paris. Maurice Paléologue, collaborateur de Delcassé au ministère des affaires étrangères, écrit dans son Journal : » Cet après-midi, vers 3 heures (soit 1 heure à Paris), comme le grand-duc Serge, gouverneur général de Moscou, traversait le Kremlin, un terroriste lui a lancé une bombe, qui l’a mis en pièces. Aussitôt la nouvelle parvenue au Quai d’Orsay (5 heures), le ministre me charge d’aller la communiquer au grand-duc Paul. » Le grand-duc, oncle de Nicolas II, a reçu un télégramme du tsar qui le prie de rentrer en Russie. Il décide de partir le soir même. » Quelle situation vais-je trouver là-bas ? dit-il à Paléologue en soupirant. Où s’arrêtera l’audace des anarchistes ? » Puis, comme il est clairvoyant et d’esprit plutôt libéral, il observe : » L’assassinat de mon frère est la riposte des terroristes à la fusillade du 22 janvier . Ah ! Pourquoi ce jour-là, pourquoi l’empereur n’a-t-il pas reçu les délégués des ouvriers ? » Le grand-duc arrive à Saint-Pétersbourg le 21 février, se rend aussitôt à Tsarskoié-Sélo, où il s’entretient avec Nicolas Il et sa mère Maria Feodorovna, puis part le soir pour Moscou. Revenu à Paris, le grand-duc Paul reçoit Paléologue le 5 mars dans son appartement de l’avenue d’Iéna. Il lui dit que le tsar lui a parlé de la guerre contre le Japon » avec une effrayante sérénité » et ne doute pas de la victoire finale. Il s’inquiète également peu des violences révolutionnaires, car » il se croit en parfaite communion avec son peuple « … Quant à l’impératrice douairière, Maria Feodorovna, elle pense tout autrement. » Nous ne pouvons plus être victorieux en Extrême-Orient, a-t-elle déclaré au grand-duc Paul ; nous devons faire immédiatement la paix, sinon c’est la révolution. » Et elle a terminé son entretien par ces mots : » Je ne vois qu’une personne qui puisse ouvrir les yeux de Nicolas, c’est M. Delcassé. Nous n’avons pas de meilleur ami en Europe ; il a dans tous les pays un très grand prestige. Fais-lui donc savoir de ma part qu’il nous rendrait un service capital en nous offrant sa médiation. «